Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/550

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
546
revue philosophique

surément je suis loin de vouloir dire que ce grand mouvement d’idées qui se continue encore de nos jours ne se serait pas produit sans lui. Il y a eu des penseurs indépendants en dehors de son École, et parmi ceux qui, tout en combattant ses doctrines, se rattachent directement ou indirectement à cette École, beaucoup n’avaient pas besoin de son impulsion : on peut cependant lui savoir gré d’avoir frayé la voie et préparé le terrain. Ceux mêmes qui l’ont le plus vivement attaqué auraient-ils pu sans lui faire ce qu’ils ont fait, et le faire aussi aisément ? Auraient-ils eu si vite les connaissances préparatoires qui, on l’a vu tout à l’heure, manquaient si cruellement aux premiers disciples de Cousin ? Auraient-ils trouvé un public préparé à les écouter et à les suivre ? Le grand mouvement philosophique dont notre temps a le droit d’être fier, aurait au moins, sans Cousin, été retardé : c’est bien Cousin qui l’a provoqué. Royer-Collard n’y aurait pas suffi.

L’organisation de l’enseignement philosophique dan l’Université est peut-être, de toutes les entreprises de Victor Cousin, celle qui a donné lieu aux plus nombreuses récriminations. Nous n’avons pas ici à discuter la question de savoir si l’État doit se mêler d’enseigner la philosophie, et si cet enseignement est bien à sa place dans les lycées. À ceux qui résolvent négativement ces deux questions, nous n’avons rien à dire. Ce qui est certain, c’est qu’en 1830 il y avait pour le parti libéral, s’il voulait que l’esprit laïque s’affranchit définitivement du joug de la théologie, un intérêt capital à organiser un enseignement indépendant de la philosophie dans les lycées. C’est une bien juste remarque de M. Janet (p. 281) que « le même besoin qui a fait créer de nos jours le cours de morale dans les écoles primaires, a fait créer ou développer en 1830 dans les établissements secondaires le cours de philosophie ». Au surplus, l’enseignement philosophique n’était pas entièrement à créer : il existait ; seulement on le donnait en latin ; il était purement scolastique ; le programme en avait été tracé par M. l’abbé Burnier-Fontanelle, doyen de la Faculté de théologie. Voilà où on en était en 1830 ! Cousin changea tout cela.

Cette fois encore, nous sommes obligé de concéder que l’éloignement a faussé les perspectives, altéré les physionomies. Des vieux documents dont M. Janet a secoué la poussière, nous voyons sortir un Cousin tout différent de celui que nous pensions connaître. Nous marchons de surprise en surprise. Est-ce lui qui a donné à l’enseignement philosophique ce caractère métaphysique et abstrait qu’on lui reproche encore parfois aujourd’hui ? — Au contraire ; outre qu’il se hâta de substituer le français au latin, c’est lui qui, pour la première fois, nouveauté hardie, plaça la psychologie à la base de la philosophie, et par psychologie, il entendait une science toute d’observation : c’est un emprunt qu’il faisait au xviiie siècle. Plus tard seulement furent introduites les questions métaphysiques relatives à la nature de l’âme. — Est-ce lui qui a séparé, comme on le lui a reproché, la psychologie et la physiologie, et creusé entre ces deux sciences un abîme ? — Pas le moins du monde. La faute