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GUARDIA.philosophes espagnols

droit au maître, dont ils se faisaient un complice, en lui dédiant leurs écrits, unique moyen de les protéger contre l’indifférence ou la persécution. Philippe II, esclave de l’étiquette et des paperasses, lisait tout, et, la plume à la main, il annotait tout ce qu’on lui présentait, imprimés et manuscrits. Il ne pouvait donc ignorer les bons avis ni les avertissements de tout genre que lui adressaient de fidèles sujets, conseillers bénévoles et désintéressés. Rien ne serait plus intéressant que de connaître son opinion sur tant de livres remarquables ou singuliers dont il accepta la dédicace et qui ne l’empêchèrent pas de lancer l’Espagne sur la pente de l’abîme où elle devait s’engloutir. Aucun des historiens de ce puissant monarque n’a songé à écrire ce chapitre tout neuf d’histoire littéraire ; lacune fâcheuse dans les annales de la littérature espagnole, d’autant plus que l’authenticité de certains ouvrages ne peut guère s’établir que par ces dédicaces ; car on ne plaisantait point avec ce terrible sire qui avait partout l’œil et la main, et dont la vengeance savait attendre. Il excellait à dissimuler, et l’on sait que ce verbe, cher aux diplomates, était sa devise. Ceci soit dit pour écarter toute idée de mystification.

L’auteur de la Nouvelle philosophie de la nature humaine capte la faveur du roi dès l’épigraphe ; après avoir cité le vers d’Horace où le poète déclare aux Pisons que ses préceptes ressemblent aux feuilles de la Sibylle, il ajoute immédiatement : Tempore Regis sapientis, veritas, non mendacium dominabitur. Flatterie pleine d’assurance et de dignité qui fait pressentir le ton de l’épître dédicatoire « au roi notre maître ». C’est une faible femme qui ose prendre la parole, en se mettant sous la protection de la toute-puissance d’un prince chevaleresque, dont la magnanimité est comparée à celle du lion. Elle lui présente le fruit de ses entrailles, estimant que jamais aucun homme ne lui fit pareille offrande, ni lui rendit pareil service. C’est pour la première fois qu’un tel sujet est traité dans un ouvrage dont l’auteur est aussi singulier que la matière est nouvelle, Tan astraño y nuevo es el libro quanto es el Autor. Après en avoir résumé les qualités et les avantages, avec plus de concision que de modestie, elle déclare hardiment qu’elle compte sur l’avenir pour le succès d’un livre qui a manqué à tous les plus excellents philosophes, médecins et naturalistes de l’antiquité et qui va combler une grande lacune : este libro faltaba en el mundo, assi como otros muchos sobran. Cette nouvelle philosophie, utile à tous les hommes, l’est plus particulièrement aux princes qui les gouvernent : le bon berger doit commencer par bien connaître son troupeau. La vraie médecine en découle comme de sa source, et comme cette source est inconnue aux médecins, l’auteur, qui n’est point médecin, qui n’a