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ANALYSES.paul janet. Victor Cousin.

du moyen âge que ce qu’il nous en a appris. Ici, du moins, on ne dira pas qu’il a été un littérateur plutôt qu’un historien : il serait plus vrai de l’appeler un bénédictin.

Victor Cousin a encore rendu de grands services à la philosophie, par l’action[1] qu’il a exercée, par les vocations qu’il a suscitées, par l’École qu’il a créée. « L’histoire de la philosophie, dit M. Janet (p. 454), est remplie de grands noms qui rappellent, non des créateurs de systèmes, mais des promoteurs et des acteurs puissants. Pomponace, Marsile Ficin, Ramus, Gassendi sont de ce genre ; Victor Cousin est un de ces hommes. Il représente toute une époque, tout un mouvement d’idées, toute une direction spéculative et pratique. Il est lui-même, et ne se confond avec aucun autre. N’est-ce pas là un titre suffisant pour vivre dans la mémoire des hommes. » On conviendra que ce n’est pas trop demander son défenseur est même un peu timide. On peut se hasarder à placer Cousin au-dessus de Pomponace et de Marsile Ficin.

Aucun de ceux que cite M. Janet n’a surpassé l’ardeur de Cousin : aucun n’a eu au même degré le zèle de l’apôtre, la flamme qui éclaire et qui échauffe. Si on veut mesurer exactement son influence, il faut voir ce qu’était la philosophie en France au moment où son enseignement commença, ce qu’elle était quand il finit. Lorsque Cousin parut, l’École condillacienne s’éteignait sans gloire ; Maine de Biran était encore inconnu. La philosophie à vrai dire était morte. Il l’a ressuscitée. As-

  1. Pour montrer quelle était l’action de Cousin, et quelle influence il exerçait sur la jeunesse, on pourrait à tous les faits que signale M. Janet ajouter un curieux témoignage de Stendhal. Il vient de dire que quelques journaux disposent, en fait de spectacles, de l’opinion de la jeunesse de Paris, et il continue : « Il n’y a d’exception que pour les élèves, assez nombreux, il est vrai, d’un jeune professeur (M. Victor Cousin) plein de talent, et surtout d’éloquence, qui, pendant quelques années, a donné un cours de philosophie, et auquel il était réservé de faire paraître trop peu spacieuses les salles les plus vastes des collèges où on lui permettait de paraître. Ce jeune philosophe, puissant par la parole, et l’on peut dire digne émule du grand homme (Platon) qui est l’objet de son culte exclusif et dont il prétend ressusciter la philosophie, ce jeune professeur, parlant de la littérature avec bonne foi, et ne songeant nullement à se ménager une place à l’Académie, disait à ses quinze cents auditeurs : « Quant au théâtre, mes élèves livrez-vous bonnement et simplement aux impressions de votre cœur ; osez être vous-mêmes, ne songez pas aux règles. Elles ne sont pas faites pour votre âge heureux ; vos cœurs sont remplis de passions brûlantes et généreuses. Placez-vous hardiment sous les portiques des théâtres ; vous en savez plus que tous les rhéteurs ; méprisez les La Harpe et leurs successeurs : ils n’ont écrit que pour faire des livres. Vous, formés comme vous l’êtes, par dix ans de travaux sérieux et d’études approfondies, livrez-vous à vos impressions. Généreuse jeunesse, vous aurez toujours raison quand vous pleurerez, et les choses dont vous rirez auront toujours une tendance vraiment ridicule. »

    « Ce qui précède n’est qu’une ombre, une contre-épreuve imparfaite, un souvenir effacé des brillantes leçons prononcées par cette voix éloquente qui se tait aujourd’hui, et qui était écoutée avec tant de respect.

    « L’on peut dire que ce jeune professeur a appris, à tout ce qu’il y a de distingué dans la jeunesse, à oser, au théâtre, être soi-même et n’écouter que ses propres impressions. Mais le bienfait des hautes leçons du Platon moderne, etc. » Stendhal, lettre du 1er septembre 1822 (Œuvres posthumes, t.  I, p. 191. Paris, 1855).