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ANALYSES.paul janet. Victor Cousin.

savoir répandre un intérêt nouveau sur la science de l’homme moral et y rattacher comme à leur base les sentiments du patriotisme, voilà les titres à l’estime publique que M. Cousin possède à l’âge de vingt-six ans. » En un mot, il fut à cette époque tout ce que, plus tard, on lui reprocha de ne pas être. C’est pourquoi on lui doit autant d’éloges qu’on lui fait de reproches. Quoi qu’on puisse dire, il a trop aimé la philosophie pour qu’il ne lui soit pas beaucoup pardonné.

Si on considère la doctrine enseignée par Cousin, on peut trouver sans doute qu’elle pèche en bien des points et qu’il en est resté peu de chose. Il est certain aussi qu’il s’est souvent inspiré des philosophes allemands. « Il y a mis sa sauce, disait Hegel, mais il m’a pris les poissons. Nous n’examinerons pas toutefois la question de savoir si sa philosophie est toute d’emprunt, et s’il n’y a rien mis de lui-même, question difficile à résoudre, sinon à trancher. Au surplus, personne ne songe à revendiquer une grande originalité de pensée pour le fondateur de l’éclectisme. N’eût-il fait que bien comprendre Hegel et Schelling, il y aurait quelque mérite. Encore aujourd’hui, nous saurions bon gré à celui qui nous les expliquerait bien clairement. Mais s’il est aisé de marquer les limites de la puissance intellectuelle de Cousin, on ne saurait contester ni la noblesse de ses intentions, ni la grandeur de son effort, ni la sincérité de ses espérances. S’il a échoué, le même malheur est arrivé à bien d’autres de lui aussi on peut dire : Magnis tamen excidit ausis. Il ne faudrait pas croire cependant que tant de peine ait été en pure perte. M. Janet, qui discute point par point avec sa vigueur habituelle les théories parfois nuageuses de l’ami de Hegel, a fort bien mis en lumière quelques idées qui méritent de ne pas passer inaperçues. Il convient ici de se défendre d’une sorte d’injustice vers laquelle on glisse par une pente trop facile. Bien des vérités qui nous sont aujourd’hui familières et sont devenues banales, étaient nouvelles pour des esprits auxquels on ne les avait pas enseignées. Ils ont eu le mérite de les découvrir, et ce mérite est aujourd’hui si peu apparent qu’on est tenté de le nier. Ainsi Jouffroy fit une découverte lorsqu’il s’aperçut que le problème de l’origine des idées n’est autre chose que le problème de la certitude. « Ce que savent aujourd’hui les derniers des bacheliers, dit très justement M. Janet, ces nobles esprits l’ignoraient. » Mais, même en laissant de côté ces vérités moyennes, à voir les choses de plus haut, il y a dans la philosophie de Cousin des idées qui ont survécu. L’un de ses principes les plus chers était que la philosophie doit appliquer la méthode d’observation, et par suite que la métaphysique doit reposer sur la psychologie. Il l’a dit et redit : on le redit encore aujourd’hui. Sa distinction de la spontanéité et de la réflexion n’est pas sans valeur ; on la retrouverait sous d’autres formes dans des théories plus récentes. Il se montre fort supérieur à Maine de Biran, psychologue trop vanté, quand il trouve le type de la causalité dans la volonté pure, et non pas dans l’effort musculaire (p. 174). Ce n’est pas peu de chose non plus d’avoir restauré l’étude scientifique de