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notes et discussions

qu’il ne s’agit dans tout ceci que d’habitudes psychiques. M. Delbœuf ne s’est point occupé des phénomènes physiques de l’hypnose, que d’ailleurs il paraît ne pas avoir rencontrés chez ses sujets[1]. Il n’a donc pas pu démontrer que ces phénomènes physiques ont été inventés par suggestion et propagés d’un sujet à l’autre par la contagion de l’exemple. Pour résoudre le débat actuel, il faut d’abord faire l’expérience suivante, à laquelle nous convions M. Delbœuf :

Prendre un sujet neuf, chez lequel on ne réussit pas à provoquer sans suggestion les trois phases physiques de l’hypnose, ni aucun phénomène purement physique, et essayer de reproduire à l’aide de la suggestion verbale seule : 1o l’hyperexcitabilité neuro-musculaire de la léthargie, avec sa localisation d’une précision anatomique ; 2o l’hyperexcitabilité cutano-musculaire du somnambulisme ; 3o la conservation des attitudes, sans tremblement du membre étendu et sans modification du rythme respiratoire ; 4o les divers états dimidiés de l’hypnotisme.

Nous n’avons sur ces questions aucun parti pris. Nous ne sommes nullement certains qu’on ne puisse pas reproduire par la voie de la suggestion les symptômes énumérés ci-dessus. Le fait fût-il exact, il n’en résulterait pas le moins du monde que la suggestion fût le seul moyen capable de produire ces effets ; il y aurait encore lieu de rechercher si les malades de la Salpêtrière, dans les conditions où ils ont été placés, ont été soumis à l’influence de la suggestion. De toute façon, il y a là de nouvelles recherches à faire, et bien dignes de tenter l’initiative de M. Delbœuf.

En terminant, nous pouvons nous approprier les paroles très justes de M. Delbœuf lorsqu’il dit que les résultats acquis de part et d’autre, par des écoles opposées, quoique contradictoires en apparence, n’en sont pas moins réels. La réalité des phénomènes hypnotiques n’est plus en cause aujourd’hui. C’est l’École de la Salpêtrière qui a découvert la première les signes objectifs permettant d’exclure complètement le danger de la simulation. La question qui s’élève maintenant est tout à fait différente ; elle est de savoir par quel mécanisme sont produits certains phénomènes de l’hypnose, si c’est par suggestion ou par des manœuvres purement physiques.

Alfred Binet.

Mon cher Directeur,

Je commence par remercier M. A. Binet d’avoir bien voulu me communiquer ses observations à propos de mon dernier article sur l’hypnotisme, pour que je puisse y joindre au besoin mes réflexions.

  1. Il est vrai que l’auteur dit avoir obtenu par suggestion des phénomènes de léthargie, de catalepsie et de somnambulisme (p. 165), mais il n’attache malheureusement pas un sens précis à ces termes, qui sont cependant techniques ; comme exemple d’attitude cataleptique, il cite une paralysie suggérée de la jambe (p. 166) ; plus loin, il écrit en propres termes : « Je lève les bras du sujet, ils retombent ; il est en catalepsie » (p. 169) ; or la catalepsie se caractérise précisément par le phénomène inverse, la conservation des attitudes communiquées, etc.