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D’après ce qui vient d’être dit, on voit que la théorie de la causalité que nous avons exposée et soutenue ruinerait, si elle était vraie, la doctrine kantienne du temps et de l’espace formes a priori de la sensibilité. Ajoutons pour mémoire, et tâchons de montrer en deux mots qu’elle ne ruinerait pas moins la doctrine de l’irréductibilité des trois catégories de relation, à savoir la permanence ou substantialité des phénomènes, la réciprocité d’action et la causalité. Il est clair en effet que ce que Kant appelle la partie permanente ou la substance des phénomènes n’est rien autre chose que l’indéfectibilité de leur action à travers le temps, c’est-à-dire la causalité sous l’une des deux formes que nous lui avons reconnues. Du reste, à quelque point de vue qu’on se place, il ne paraît pas possible de se refuser à reconnaître que la partie permanente des phénomènes doive exercer quelque influence sur leur production, et par conséquent en soit cause à quelque titre. Il est plus clair encore peut-être que ce que Kant appelle l’action réciproque des phénomènes simultanés n’est rien autre chose que leur dépendance universelle à travers l’espace, seconde forme de la causalité. Les deux catégories de la permanence et de la réciprocité d’action, loin d’être irréductibles à celle de la causalité, s’y ramènent donc, et l’on peut ajouter qu’elles en épuisent le contenu ; car où trouverait-on un rapport de causalité en dehors de ceux qui unissent les phénomènes entre eux dans le temps et dans l’espace ? Si maintenant l’on veut bien se rappeler que, d’après ce qui a été dit plus haut, le temps — nous parlons bien entendu du temps réel et concret, non du temps abstrait qui s’exprime en heures, en jours et en années, et qu’on appelle la durée — n’est rien autre chose que la permanence même des phénomènes, et que l’espace — nous voulons dire l’espace réel, non l’extension abstraite qui s’exprime en mètres cubes ou en fractions de mètre cube — n’est rien de plus que la simultanéité des phénomènes ou leur réciprocité d’action ; il en résultera que ces cinq idées : temps, espace, permanence, réciprocité d’action, causalité, que Kant déclare irréductibles entre elles et dont il veut faire autant de conditions a priori de l’existence des phénomènes comme de leur intelligibilité, peuvent se réduire à trois, puis à une seule qui les comprend et les résume toutes, l’idée de causalité.

V

Tous nos efforts dans la discussion précédente ont eu pour objet de prouver que la théorie qui prétend rattacher chaque phénomène