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DUNAN.le concept de cause

faire partir cette action de tel moment déterminé du temps passé plutôt que de tout autre, ni de tel point particulier de l’espace plutôt que de tout autre, ce qui oblige à en faire remonter l’origine à l’infini dans le temps comme dans l’espace.

À cette conclusion, on peut il est vrai opposer deux objections. La première, c’est qu’en considérant le temps et l’espace comme déterminés, concrets et hétérogènes, nous leur donnons beaucoup, et nous nous mettons en opposition formelle avec le sentiment de la presque totalité des philosophes de nos jours, et même avec un bon nombre de ceux du passé, qui n’ont point voulu que le temps et l’espace fussent des absolus et des choses subsistant en soi, encore moins des choses déterminées et hétérogènes. La seconde, c’est que la principale raison sur laquelle nous appuyons cette théorie étrange, à savoir la nécessité d’expliquer la transmission de l’action causale, n’est pas bonne, puisque évidemment cette transmission doit se faire, non pas à travers le temps et l’espace, mais bien à travers les phénomènes eux-mêmes. Ces deux objections sont justes assurément, ou plutôt elles le seraient si les conclusions auxquelles nous nous sommes arrêté comportaient l’attribution au temps et à l’espace d’une existence absolue et indépendante de celle des phénomènes. Mais il s’en faut de beaucoup qu’il en soit ainsi. L’effort que nous faisons pour montrer la nécessité où l’on est de considérer le temps et l’espace comme des principes d’unité en même temps que de multiplicité, comme hétérogènes dans toutes leurs parties, et par suite comme concrets et vivants en quelque manière, ne tend au contraire qu’à leur identification avec les phénomènes eux-mêmes. On nous dit que c’est à travers les phénomènes ultérieurs ou concomitants que s’exerce l’action causale de tel phénomène sur tel autre : nous en sommes d’accord, et c’est pour cela précisément que nous refusons de reconnaître l’existence d’un temps et d’un espace qui, homogènes et indéterminés, seraient en soi autre chose que les phénomènes qui les remplissent, ou pour mieux dire qui les constituent. On dit encore qu’en concevant le temps et l’espace comme déterminés et concrets, nous leur donnons beaucoup. C’est une erreur ; nous ne leur donnons rien du tout, au contraire, puisque nous les identifions avec les phénomènes et les y absorbons. À notre sens, le temps et l’espace ne sont que deux formes de la vie du monde phénoménal, mais c’est le monde phénoménal qui est réel, non le temps et l’espace. Une seule chose est donnée primitivement et absolument, les phénomènes ; mais il est de la nature des phénomènes de se développer sous deux aspects et en deux directions différentes. Envisagés sous l’un de ces aspects, les phénomènes cons-