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saire des idées dans notre esprit. Ce que Hume entend par cette connexion nécessaire, c’est une nécessité en vertu de laquelle il faut que telle idée succède à telle autre idée dans notre conscience : ce que nous appelons action causale et dépendance des phénomènes entre eux, c’est une nécessité en vertu de laquelle il faut que tel phénomène succède à tel autre dans le monde extérieur. Où est la différence entre les deux cas, et pourquoi, si la première manière de parler est légitime, la seconde ne le serait-elle pas ?

Il est donc certain que Hume a tort de vouloir nous interdire de parler de l’action des phénomènes les uns sur les autres sous prétexte que nous n’en avons aucune impression et conséquemment aucune idée. Quant à la question de savoir si cette action existe réellement ou non, c’est autre chose, et nous reconnaissons que la charge de prouver qu’elle existe nous incombe tout entière. L’argumentation de Hume tendait à nier d’avance la possibilité d’une discussion sur ce point en posant en quelque sorte la question préalable. Nous nous sommes efforcé d’écarter cet obstacle, voilà tout. Mais avant d’aborder ce qui fait le fond du débat, nous ne devons pas négliger de tirer des admirables analyses de notre auteur une conclusion importante qu’elles contiennent, et qui reste vraie malgré tout, c’est que l’action causale, à supposer qu’elle soit réelle, n’est pas une de ces choses dont nous puissions jamais nous faire un concept positif, encore moins une représentation imaginative.

On pourrait d’abord alléguer en faveur de la dépendance des phénomènes, que la doctrine contraire, qui est celle de Hume, nous laisse en présence du retour régulier des phénomènes comme en face d’une énigme insoluble ; car enfin, si les phénomènes ne se déterminent en aucune façon les uns les autres, d’où vient qu’en fait les mêmes conséquents se soient partout et toujours montrés à la suite des mêmes antécédents ? Il faut convenir que cette régularité de leurs successions devient dans ce cas quelque chose de bien étrange[1]. Et pourtant nous devons reconnaître que cette réflexion

  1. M. Rabier a exprimé avec une précision originale et forte l’une des principales objections que l’on puisse opposer à la thèse de l’indépendance absolue des conséquents par rapport à leurs antécédents phénoménaux.

    « L’idée de connexion nécessaire, dit-il, si l’on n’y fait pas entrer l’idée d’efficacité causale, est une idée positivement contradictoire, car elle se résout en deux idées dont chacune renferme une contradiction : l’idée d’une cause qui est nécessaire tout en ne servant à rien, et l’idée d’un effet qui apparaît nécessairement par le moyen d’une cause, sans que pourtant rien dans cette cause le détermine à apparaître. En deux mots, l’idée de connexion nécessaire sans celle d’efficacité causale, c’est l’idée d’une liaison nécessaire, qui se trouve être en même temps une indépendance absolue. (Leçons de philosophie, t.  I, p. 285.)

    Cela est fort bien dit, et pourtant il ne semble pas que cela porte directement, contre Hume, qui accordait bien qu’il existe dans l’esprit une connexion néces-