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DUNAN.le concept de cause

fois la succession de deux phénomènes A et B, la perception de l’antécédent A produit en nous l’idée avec l’attente du conséquent B. Cette tendance est-elle représentable ? Fait-elle l’objet d’un concept ? Non, encore une fois, et de l’aveu même de Hume. Faudra-t-il pour cela accuser de psittacisme le philosophe qui parle d’une connexion nécessaire entre nos idées ? Point du tout, et l’on ne peut nier au contraire qu’il ne parle très clairement, puisque ce mot de connexion nécessaire éveille dans nos esprits l’idée d’un fait bien connu, à savoir que deux souvenirs s’évoquent l’un l’autre dans notre conscience, bien qu’il nous soit impossible de concevoir comment ils y sont associés. Que faut-il d’après cela pour que nous soyons en droit de parler d’une dépendance objective des phénomènes entre eux, quoique nous n’ayons aucune conception de la nature de cette dépendance ? Une seule chose, à savoir que cette affirmation soit l’expression d’une tendance ou d’un besoin de notre esprit. Or peut-on nier l’existence en nous d’une pareille tendance ? Quand nous demandons pourquoi B succède à A plutôt que C ou D, ou, ce qui revient au même, quand nous affirmons qu’il doit y avoir un rapport de dépendance objective entre A et B, que faisons-nous, sinon d’exprimer la tendance naturelle qu’a notre esprit à chercher les raisons et les causes ? Que l’empirisme n’explique pas cette tendance, c’est possible, mais il ne doit pas refuser de la reconnaître, et si Hume a bien pu désigner par le mot de connexion nécessaire la tendance irréprésentable en vertu de laquelle l’esprit passe fatalement de telle idée à telle autre idée associée avec la première, nous devons avoir un droit égal à désigner par les mots dépendance, connexion objective, causalité, la tendance tout aussi irréprésentable mais non moins constatée à chercher le pourquoi de la succession constante de tels et tels phénomènes. — Mais, dira un partisan de Hume, vous n’avez pas le droit d’objectiver cette tendance. Si le sens commun l’objective, il a tort ; et ce qui ressort d’une analyse sérieuse du concept de causalité, c’est précisément que l’idée de la dépendance effective des phénomènes entre eux est une illusion : donc parlez de cette dépendance comme d’une tendance toute subjective de votre esprit, mais non pas comme d’un principe présidant effectivement à la production successive des phénomènes. — Fort bien, répondrons-nous, mais la question n’est pas là. Nous ne discutons pas en ce moment pour savoir si en réalité les phénomènes dépendent les uns des autres, mais uniquement pour savoir si, en affirmant qu’il en est ainsi, on dit quelque chose ou rien du tout. Or ce que nous soutenons, c’est qu’on dit quelque chose, autrement Hume lui-même ne dit rien quand il parle de la connexion néces-