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PAULHAN.le devoir et la science morale

nière, à cause de la logique de cette conception et de l’ordre qu’elle introduit dans notre esprit. Enfin, si les actes sont simplement regardés au point de vue de leur possibilité future, c’est l’attente qui se manifeste dans certains cas, quand les exigences de la logique et celles de l’observation, qui est une logique aussi, nous semblent être d’accord, ou que du moins nous n’avons pas lieu de croire qu’elles ne le sont pas.

Il nous reste à parler de l’obligation morale proprement dite et à voir comment elle se rattache à la forme d’obligation précédemment examinée. Elle en est à mon avis un cas particulier. Une action considérée comme obligatoire prend un caractère moral quand elle se rapporte comme élément d’un système à l’ordre général du monde, et non pas à un système particulier, individu ou association d’individus on peut encore la considérer comme morale quand elle se rattache non pas à l’ordre général du monde, qu’il est impossible probablement de déterminer, et qui peut même ne pas exister, mais au système le plus complexe et le plus vaste que nous puissions concevoir, à celui qui tend à embrasser et à synthétiser le plus de systèmes particuliers.

Il y a des raisons de croire que l’on comprend souvent ainsi l’obligation morale, mais je veux prévenir l’objection que l’on pourrait me faire en prétendant que certaines actions passent généralement pour morales sans qu’elles soient rapportées consciemment, ou même sans qu’il soit possible de les rapporter à l’ordre général du monde ou à quelque chose qui s’en rapproche. Sur le premier point, il faut dire qu’une action n’en est pas moins morale parce que, en la faisant, on ne pense point explicitement qu’elle l’est ; il suffit que l’on puisse le penser, et que, en ce cas, l’action se présente avec le caractère obligatoire et moral. Sur le second point, je ne prétends pas donner une définition de l’obligation morale qui s’accorde pleinement avec les idées que chacun peut s’en faire, puisque je cherche à donner une définition qui soit, dans la mesure du possible, rigoureuse et précise, et que les croyances spontanées et les appréciations spontanées d’un fait psychique ou d’une idée philosophique sont en général tout autre chose que précises et rigoureuses. Il me suffit que mon système soit d’accord avec lui-même et avec les faits bien interprétés ; or, la bonne interprétation des faits en ce cas où il n’y a pas à parler de vérification par l’expérience, puisque la vérification expérimentale supposerait que la théorie est acceptée, ne peut être appréciée que par la cohérence de la théorie, non par son accord avec les croyances ordinaires. On peut certainement reconnaître certaines ressemblances avec la morale dans les actes les plus immo-