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PAULHAN.le devoir et la science morale

tres actes, si elles présentent à l’esprit, restent sans lien étroit avec la tendance qui donne à l’esprit en ce moment son orientation générale, bien qu’elles puissent s’associer étroitement avec d’autres tendances et acquérir ainsi le caractère obligatoire quand ces autres tendances auront, à leur tour, pris pour un temps plus ou moins long la direction de nos forces psychiques. Aussi des actions tout à fait différentes et même opposées peuvent-elles, à des moments divers, nous apparaître comme également obligatoires.

Parmi les nombreuses tendances, les nombreux systèmes psychiques, réels ou virtuels qui existent en nous à chaque instant, quelques-uns s’emparent de notre esprit et déterminent les idées, les sentiments, les actes et leur mode de groupement, c’est-à-dire que, une fois que nous sommes sous l’empire d’une idée, d’une passion, d’une tendance quelconque, les autres phénomènes psychiques sont influencés dans leur apparition, dans leur nature propre et dans leur évolution, par la tendance dominante, à moins qu’ils n’éveillent d’autres tendances qui remplacent la première et modifient le procédé momentané de l’association. Nous avons ainsi, à chaque moment, un état d’esprit composé de plusieurs tendances plus ou moins harmonieusement associées qui déterminent les relations des phénomènes psychiques. Ainsi quand, par exemple, nous sommes sous l’impression d’une grande joie, le système psychique qui domine en nous nous fera accepter certaines petites contrariétés sans presque nous en apercevoir. Je n’insiste pas sur ces faits connus, mais je crois devoir faire remarquer la portée exacte de l’analyse que j’essaye de faire ici, de la notion d’obligation ; pour moi l’obligation en général et l’obligation morale en particulier trouvent leur type dans l’acte réflexe composé, dans l’association systématique, harmonieuse, des fonctionnements de plusieurs organes. C’est donc à ce type que j’essaye de ramener les formes supérieures qui me paraissent en dériver, tout en tenant compte des différences. Mais ce groupement harmonique lui-même, ce fait de la finalité présentée soit par l’organisme sentant et pensant, soit par l’organisme ne sentant ni ne pensant, je ne cherche pas, pour le moment du moins, à en donner une explication.

L’obligation morale est un cas particulier de cette sorte d’obligation logique qui n’est que l’expression de l’organisation inhérente à la vie, et qui nous fait considérer dans une certaine mesure comme devant être accomplis par nous les actes qui dérivent logiquement des idées acceptées par nous. On a fait remarquer déjà que nos actes peuvent être assimilés à des conclusions de raisonnements dont les prémisses existent en nous sous forme d’idées,