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PAULHAN.le devoir et la science morale

s’associent à leur tour avec ces tendances fondamentales, ils participent à leur ténacité et à leur importance. Si nouveaux qu’ils semblent, et si peu importants qu’ils puissent paraître, ils correspondent à des tendances qui ne cèdent pas facilement et qui leur donneront toujours une force considérable.

C’est dans l’existence de ces systèmes psychiques permanents, de ces tendances persistantes qui restent parfois à l’état latent pendant un temps assez long, de ces modes d’associations particuliers, qu’il faut chercher ce qu’on désigne en général sous le nom de personnalité ou de caractère. Il sortirait du plan de ce travail d’étudier ici les éléments du caractère, très difficiles d’ailleurs à constater et à analyser. Mais c’est un fait reconnu, que le même acte, par exemple, accompli par des gens de caractère différent, diffère profondément malgré des apparences identiques, et que la même pensée, la même idée, le même sentiment, ou du moins des sentiments analogues, diffèrent énormément d’un individu à l’autre, non pas tant par leurs caractères propres que par leurs causes psychologiques et par leurs effets, par les tendances qui les produisent, et par les images, les idées, les actes, les habitudes qui les accompagnent ou qui les suivent.

Il s’établit ainsi des associations selon un mode unique et tendant vers une même fin, entre plusieurs tendances, plusieurs systèmes psychiques qui se réunissent en un système supérieur. Nos actes, nos idées, les plus insignifiants en apparence, sont souvent rapportés à ce système et déterminés par lui, et cela se fait la plupart du temps sans que nous nous en rendions compte. Schopenhauer a par exemple exposé dans sa remarquable théorie de l’amour le rôle joué par l’instinct héréditaire de l’espèce qui, la plupart du temps, n’est nullement reconnu pour ce qu’il est par les individus. On reconnaîtra facilement la grande part de vérité que sa théorie renferme si on la débarrasse des formes métaphysiques qu’il lui a données, ou si on les interprète. Ces systèmes permanents, ces « facultés maîtresses », tendent naturellement à envahir les parties encore relativement incoordonnées de l’individu ; nos tendances dominantes s’emparent peu à peu de nous et chacune se coordonne de plus en plus avec un nombre de faits le plus considérable possible. Nous retrouvons ici cette finalité immanente, c’est-à-dire cette tendance à la systématisation que j’ai signalée tout à l’heure et qu’une psychologie positive ne peut s’empêcher de reconnaître.

C’est le rapport plus ou moins perçu entre une ou plusieurs de ces tendances fondamentales et un acte dont l’idée se présente à nous, qui donne naissance au phénomène de l’obligation en général.