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été amenés déjà à constater que ce sont les cas où l’harmonie n’est pas complète qui amènent l’apparition de tous les faits de conscience[1]. C’est donc dans ces cas que nous avons à chercher les conditions particulières des faits que nous étudions ici.

Il est facile de voir que toutes les fois qu’une tendance est entravée par une autre, il ne se produit pas un sentiment d’obligation ; ainsi nous ne nous sentons pas obligés, quand nous écrivons et que nous commençons à avoir faim, de nous lever pour satisfaire notre appétit, ou, pour qu’une pression de ce genre devienne obligatoire, il faut identifier l’obligation et la contrainte et admettre que l’impulsion devient très forte, mais ce n’est pas de ce mode d’obligation que nous devons nous occuper à présent.

Il n’est personne qui, à une proposition quelconque, concernant par exemple l’emploi d’une soirée, n’ait entendu répondre ou n’ait répondu : « Je ne puis, je suis obligé de faire autre chose » ; il ne s’agit ici à proprement parler ni d’une contrainte irrésistible, ni d’une obligation morale. Il peut très bien arriver dans certains cas que la personne qui se dit ainsi « obligée » ne considère pas précisément comme un devoir moral l’acte qu’elle va accomplir, et que d’un autre côté les raisons qui la déterminent à agir comme elle l’a projeté ne soient pas suffisamment fortes pour résister à toutes les tentatives ; il n’y en a pas moins un certain sentiment d’obligation plus vague que l’obligation morale, et qui ne ressemble guère à la conscience d’une nécessité.

Toutes les idées, toutes les images, toutes les résolutions qui traversent notre esprit ne lui appartiennent pas également et ne s’associent pas de la même manière avec les tendances qui constituent notre personnalité. Sans doute un phénomène quelconque est toujours en quelque sorte l’expression de la personnalité au sein de laquelle il apparaît, et qu’il aide pour sa part à constituer ; mais quelques-uns de ces phénomènes sont le produit de la rencontre de tendances superficielles et de circonstances rares, et d’autres au contraire résultent de la mise en jeu de tendances fortement systématisées, et sont le produit direct et particulier d’une organisation psychologique permanente et tenace. Certaines associations systématisées, croyances, habitudes, etc., sont si solidement nouées que rien ne peut les détruire qu’une ruine complète des centres nerveux. Elles sont ce qu’il y a en nous de plus permanent, de plus durable et de plus unifié, on pourrait presque les appeler l’essence du moi. Quand d’autres phénomènes psychiques apparaissent et

  1. J’ai appliqué cette loi aux phénomènes affectifs dans mon volume Les phénomènes affectifs.