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qui peuvent favoriser ou entraver les fonctions de notre organisme, elles ne nous disent pas si nous devons entraver ou favoriser ces fonctions, mais, si nous admettons un but quelconque, celui de nous conserver bien portants ou celui de nous tuer, elles pourront nous fournir les moyens d’atteindre ce but et nous livrer des faits qui se combineront et se systématiseront de manière à former soit un traité d’hygiène, soit un manuel du suicide.

De même la psychologie peut fournir des faits que la science de l’idéal arrangera en systèmes combinés en vue d’une fin morale ou immorale ; car l’immoralité, en un sens, n’est qu’une sorte de moralité retournée, une sorte de moralité conditionnelle, une solution particulière du problème de l’arrangement et de l’organisation de l’existence, qui, si les données du problème étaient quelque peu changées, se trouverait être la vraie solution, et qui quelquefois ne se peut humainement distinguer de la solution exacte, à cause du vague et de l’insuffisance des données. Ainsi, nous avons à décider dans quel sens nous devons combiner les éléments psychiques que nous offre l’expérience, c’est-à-dire quelle est la meilleure organisation intellectuelle et sociale, le meilleur système de vie.

La recherche du bien est difficile, quand il s’agit d’un bien absolu, et qu’on cherche une loi générale qui puisse s’appliquer à tous les hommes. On peut dire assez facilement quel est le devoir d’un soldat considéré uniquement comme soldat, mais si on le considère à la fois comme soldat et comme citoyen, ou comme homme, on trouve des difficultés sans nombre ; mais décider quel est le devoir de l’homme en tant qu’être raisonnable ou qui devrait l’être, c’est là une tâche presque impossible à définir, parce que nous ne connaissons pas suffisamment ce que c’est qu’un homme. Et si l’on veut combiner ensemble toutes les lois morales qui peuvent être prescrites à chacun de nous, et arriver à une résultante qui tienne compte de tous ces éléments, et nous indique la route à suivre en chaque circonstance, on verra combien il est actuellement impossible de faire une morale, et combien l’on agit à tâtons, aveuglément, et sous l’empire d’instincts dont ce que l’on peut dire de mieux est qu’ils ne font peut-être pas commettre tant de sottises ni de si graves que l’on serait porté à le croire, par rapport à celles que ferait commettre un exercice réfléchi du degré de raison dont l’homme est généralement doué.

D’ailleurs, ce que je veux rechercher ici, ce n’est pas précisément l’idéal humain, et la conduite rationnelle que chacun de nous devrait tenir, recherche qui me paraît prématurée et impossible à mener à bien. Je voudrais étudier ce qu’est le devoir en lui-même, et quel que