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SOURIAU.la conscience de soi

une violente émotion quand on la rencontre, qu’on l’associe à tous ses rêves de bonheur, etc., et, de tout cela, on conclura qu’on aime. Cette découverte est toujours une surprise : l’amour, à ses débuts, était forcément inconscient, non parce qu’il était trop faible, mais parce qu’il n’avait pas eu encore le temps de produire des effets appréciables. Faible ou intense, il ne peut nous révéler son existence que par les actes qu’il nous inspire, ou tout au moins par le plaisir que nous avons à les accomplir en imagination.

Enfin, avons-nous dit, il entre dans tout sentiment un certain nombre de sensations. Pendant que nous pensons, la vie physiologique suit son cours ; nous continuons de recevoir les impressions du dehors : de là un certain nombre de sensations et de perceptions, dont la série se développe parallèlement à celle de nos pensées, et contribue à déterminer leur caractère. Les pensées, à leur tour, réagissant sur notre organisme, y produisent des modifications aux-quelles correspondent des sensations nouvelles. — Ces sensations, de nature fort diverse, ont pourtant ce caractère commun, d’être vagues et mal localisées.

C’est parce qu’elles sont vagues qu’elles ont tant d’influence sur notre humeur. Quand nous ressentons une souffrance vive, notre attention est éveillée : nous pouvons nous rendre compte de ce que nous éprouvons, réagir contre cette douleur, nous en isoler. Au contraire, des sensations telles que l’anxiété nerveuse, l’oppression, la lourdeur de tête, etc., nous affectent beaucoup ; elles nous envahissent à notre insu : nous nous sentons tristes, mécontents de nous-mêmes et des autres, inquiets de l’avenir ; et nous attribuons cet état moral à quelques idées qui viennent de nous passer par l’esprit, sans nous apercevoir que ces idées mêmes nous ont été inspirées par notre disposition physique. — C’est parce qu’elles sont mal localisées et comme diffuses dans l’organisme que nous leur attribuons un caractère idéal, que nous les associons si naturellement à nos pensées, et même que nous les prenons quelquefois pour des pensées. — Maintenant, ces sensations peuvent-elles être conscientes ? La description que nous venons d’en donner tend déjà à prouver le contraire. L’étude que nous ferons tout à l’heure de la sensation proprement dite achèvera la démonstration. En effet, s’il est établi que les sensations nettes, stables, intenses qui correspondent à une impression physique ne peuvent être observées au moment où nous les éprouvons, à plus forte raison en sera-t-il de même des sensations si faibles, si vagues, si fugitives dont nous venons de parler. Enfin, pour continuer de raisonner a fortiori, je dirai que, quand bien même les idées et les sensations seraient observables chacune de leur côté, le senti-