Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/468

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
464
revue philosophique

1o du plaisir ou de la douleur ; 2o de l’amour ou de la haine ; 3o de simples sensations. Passons en revue ces divers genres de faits, en nous posant, pour chacun d’eux, la question de conscience ou d’inconscience.

Certaines sensations me donnent du plaisir ou de la douleur : qu’est-ce à dire, sinon seulement qu’elles me plaisent ou me déplaisent, qu’elles ont un caractère agréable ou désagréable ? Le plaisir et la douleur ne sont pas des phénomènes distincts qui pourraient, par eux-mêmes, constituer ma manière d’être, mon état de conscience ; ils ne sont que la qualité particulière de nos sensations ; de sorte que la question de savoir s’ils sont conscients ou non revient à celle de savoir si les sensations mêmes sont conscientes. — J’irai même plus loin : est-il bien prouvé qu’entre une sensation agréable et une sensation désagréable il y ait nécessairement une différence de qualité ? La même sensation ne pourrait-elle pas être agréable à une personne, désagréable à d’autres ; me plaire dans certains cas, me déplaire dans d’autres ? Certaines sensations, telles que les sensations lumineuses, ne peuvent-elles pas, sans changer de qualité, me faire passer du plaisir à la douleur, par une simple augmentation d’intensité ? La seule différence positive que j’aperçoive entre les sensations agréables et désagréables, c’est la tendance que nous avons à rechercher les unes, à fuir les autres : une vive douleur, par exemple, ne me semble être qu’une sensation quelconque contre laquelle nous réagissons fortement ; et ce qui nous détermine à réagir, ce n’est pas la qualité intrinsèque de notre sensation, mais son incompatibilité avec l’état présent de notre organisme : de sorte que des sensations identiques pourront, selon les circonstances, nous paraître agréables ou douloureuses. J’ajoute que ce n’est jamais par réflexion que l’on juge de l’opportunité de cette réaction. Elle se produit d’elle-même, instinctivement, alors même que la réflexion tendrait plutôt à la condamner ; elle ne suppose donc aucune conscience des sensations qui la provoquent.

Mêmes remarques pour l’amour et la haine, le désir et l’aversion. Je n’y vois pas des actes particuliers dont nous pourrions prendre conscience, mais seulement une tendance à accomplir certains actes ; et cette tendance elle-même n’est connue que par ses effets. Qu’est-ce, par exemple, qu’aimer ? À quoi reconnaît-on qu’on aime ? Avec quelque attention qu’on s’étudie, jamais on ne pourra apercevoir en soi un état de conscience particulier, une émotion spéciale, quoi que ce soit qui serait justement de l’amour. Mais on remarquera qu’on pense bien souvent à certaine personne, qu’on éprouve