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attentivement un objet imaginaire, je crois qu’elle se réduit à une sensation de tension dans les yeux, analogue à celle qui accompagne les perceptions visuelles. Pour apercevoir plus distinctement une image, j’essaye de la regarder, comme si c’était un objet réel. Cet effort d’accommodation de mon œil est une simple action réflexe provoquée par la conception de l’image, c’est-à-dire un phénomène physiologique qui n’a rien de commun avec ma représentation mentale.

Je ne crois pas nécessaire de continuer plus longtemps ces analyses. Si l’on m’a accordé ce que j’ai dit de la perception et de l’imagination, on devra admettre avec moi, a fortiori, que la pensée pure est inconsciente. Quand je conçois une idée, quand je juge, quand je raisonne, je ne pense et je ne puis penser qu’à mon idée, à mon jugement, à mon raisonnement, c’est-à-dire à ce qu’il y a d’objectif dans mon acte.

En définitif, je considère comme démontré que notre esprit, au moment où il s’applique à prendre connaissance d’un objet, ne peut prendre en même temps conscience de sa propre activité ; et comme cette activité n’existe qu’autant que je pense à l’objet, il s’ensuit qu’elle ne peut non plus être observée isolément : de sorte que les actes intellectuels sont nécessairement inconscients.

Une seule objection sérieuse pourrait être adressée à notre théorie. Qu’avez-vous prouvé ? dira-t-on. Que lorsque nous prenons connaissance d’une chose, nous nous oublions nous-mêmes pour ne songer qu’à la chose. Mais qu’est-ce, au fond, que cet objet qui nous apparaît comme extérieur à nous ? Une simple modification du Moi. Ce corps, que je perçois, n’est que le groupe de mes sensations présentes percevoir un corps, c’est donc prendre conscience de soi. Cette idée, que je conçois, n’est que la forme, que la détermination de mon activité intellectuelle : concevoir une idée, c’est donc, encore une fois, prendre conscience de soi.

Tout à l’heure, je m’évertuais à prouver qu’il est impossible d’observer la pensée indépendamment de son objet, et j’en concluais que la pensé est inconsciente : mon tort était de chercher la pensée ailleurs que dans l’objet même, et l’objet ailleurs que dans le moi.

J’accorderai sans difficulté que les idées ne sont que la forme de ma pensée : penser à quelque chose, c’est penser d’une certaine manière. Mais c’est justement sur cette identité de la pensée avec son objet que je m’appuie pour déclarer que la pensée est nécessairement inconsciente. — Je pense à une chose : puis-je en même temps penser que j’y pense ? Cela serait possible, à la rigueur, si la pensée était distincte de son objet ; car alors ma pensée actuelle pourrait