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SOURIAU.la conscience de soi

drait que ma conscience pût atteindre directement cette substance active dont mes actes ne sont que les modes, cette cause qui produit ma pensée ; et nous avons vu qu’elle en était incapable.

III

Jusqu’ici, notre tâche a été relativement facile. En nous attachant à prouver que le Moi n’a conscience ni de son essence ni de ses facultés, nous ne faisions que rejeter une théorie particulière ui déjà, on peut le dire, a fait son temps. Nous nous proposons maintenant de montrer que le Moi ne peut même pas prendre conscience de ses propres modifications ; ou, en d’autres termes, qu’on a tort de prétendre que les phénomènes psychologiques sont directement et certainement connus.

Cette fois, nous devons le reconnaître, notre théorie va contre l’opinion générale des psychologues, et je pourrais même dire contre le sens commun : aussi ne devons-nous nous avancer qu’avec prudence dans notre démonstration.

Nous est-il possible de fixer notre attention sur les faits qui s’accomplissent en nous, au moment même où ils s’accomplissent ? On ne saurait, évidemment, trancher une pareille question d’un seul coup. En effet, il se pourrait que, parmi les diverses modifications de notre état de conscience, les unes fussent observables, et non les autres. — Examinons d’abord ceux de nos actes qui ont un caractère objectif, tels que la perception, la conception des images et des idées. Nous passerons ensuite à l’étude des phénomènes qui sont plutôt subjectifs, tels que la sensation, le sentiment et la volition.

Un objet lumineux est placé devant moi ; j’ai les yeux ouverts et dirigés sur lui : je le vois. Ai-je conscience de le voir ? Non, la vision est un acte absolument inconscient. Pendant que je perçois l’objet, toute mon attention est fixée sur lui, et il m’est impossible d’en détourner la moindre part sur l’acte par lequel je le perçois. L’objet m’apparaît comme quelque chose d’étranger à mon esprit, qui a sa réalité propre, qui existerait alors même que je n’y penserais pas. — Pourtant, quand cet objet m’apparaît, je dis que je le vois. Je sais donc que la vision est quelque chose d’actif. Et comment le saurais-je, si je ne pouvais, de quelque manière, prendre conscience de cette activité ? — Il y a là une confusion. Pour voir un objet, vous êtes obligé d’exécuter un certain nombre de mouvements, comme de tourner vers lui la tête et les yeux, de contracter plus ou moins le cristallin, etc. Vous intervenez donc d’une manière active dans la vision,