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auquel j’attribuerai la conception du moi idéal. Mais, si le moi pensé est un fait premier, le Moi pensant n’est qu’une hypothèse métaphysique, ultérieurement conçue. Et il importe de faire cette distinction. En effet, du moment que le Moi réel n’est plus que la cause inconnue à laquelle nous attribuons la conception du Moi idéal, il reste à se demander s’il est bien nécessaire de lui accorder les mêmes attributs. Je me conçois comme simple et identique : cela prouve-t-il que je le sois réellement ? Je ne le crois pas pour mon compte. Je me défie des arguments ontologiques qui concluent de l’idée d’un être à l’existence de cet être. De ce que j’ai l’idée du Moi, il s’ensuit que je suis quelque chose mais quoi ? Je l’ignore. Ce serait donc trop avancer que de dire : Je pense, donc je suis. La seule induction qui me paraisse rigoureuse est celle-ci : je pense, donc quelque chose est.

J’accorde donc que la conscience me prouve que je suis, comme la perception sensible me prouve qu’il existe un monde ; mais elle ne me révèle pas plus la nature intime du Moi que les sens ne me font connaître la nature intime de la matière. — J’admets que je suis un être réel, distinct de mes propres idées ; mais par cela même, je suis contraint d’avouer que l’essence de cet être m’est inconnue. Je ne le connais, en effet, que par la représentation que je m’en fais. Puisque le Moi réel n’est pas l’idée du Moi, et que je ne connais que cette idée, il est évident que je ne connais pas le Moi réel.

Il ne resterait aux partisans de la conscience intuitive qu’un moyen d’échapper à cette argumentation : ce serait de protester contre la distinction que j’ai établie entre le Moi réel et le Moi idéal. Ne me suis-je pas laissé égarer par l’analogie, en assimilant la perception interne à la perception extérieure ? Les corps matériels existent alors même que je n’en prends pas connaissance ; ils sont indépendants de mon esprit et peuvent être distingués de l’idée que je m’en fais. Mais, pour le Moi, il n’en est pas de même. Je ne suis Moi qu’autant que je prends conscience de Moi ; le Moi idéal ne fait qu’un avec le Moi réel : C’est bien gratuitement que tout à l’heure on imaginait, en dehors du Moi qui m’est donné par la conscience, une sorte de monade métaphysique que l’on déclarait inconnaissable. Si cette monade existait, elle ne serait pas Moi. Le Moi connaît forcément sa propre essence, puisque son essence est d’être conscient.

Cette définition du Moi est parfaitement admissible. Mais alors, il faut s’entendre. Ce que l’on entend par le Moi, ce n’est plus ce que chacun de nous entend par soi. On prend ce mot dans un sens tout particulier, qui ne sera bien compris que des esprits familiarisés de longue date avec le vocabulaire philosophique. Ce n’est plus l’homme parlant de lui-même : c’est l’esprit faisant réflexion sur soi, Prenant