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Il semble cependant que sur cette question de l’hypnotisme les deux écoles admettent la même solution. M. Campili examine quelle est la responsabilité civile et pénale de l’hypnotisé à l’occasion des actes criminels commis ou des obligations assumées sous le coup d’une suggestion hypnotique. D’après l’école juridique classique, l’hypnotisé n’est pas responsable, parce qu’il n’a pas agi comme une cause volontaire et consciente ; il n’y a pas de peine là où il n’y a pas eu de faute. L’école anthropologique, qui ne se place pas à ce point de vue subjectif, mais qui considère les institutions judiciaires comme ayant à remplir une simple fonction de conservation et de défense sociale, arrive à la même conclusion, quoique par une voie différente ; dans une discussion très détaillée, l’auteur établit que les besoins de la défense sociale ne demandent la répression des actes criminels que lorsque ces actes sont l’expression de la personnalité de l’agent ; or, chez l’hypnotique, la réaction individuelle est abolie ; les actes qu’il accomplit sous le coup d’une suggestion, il les accomplit comme un automate. Même en admettant ces conclusions, qui, d’ailleurs, sont fort discutables, non-croyons qu’elles reposent sur des prémisses qui contiennent une erreur de fait. On croit aujourd’hui trop facilement qu’on peut caractériser l’état psychique de l’hypnotisé avec un mot sommaire, et dire : c’est de l’automatisme. Dans un nombre immense de cas, le sujet conserve son identité intellectuelle et morale ; quand on lui donne une suggestion d’acte, si l’acte est en contradiction avec son caractère, il peut résister, discuter l’ordre et même refuser absolument d’obéir. L’auteur semble avoir vu la difficulté, car il rappelle que, dans un ingénieux article, M. Bouillier a admis une responsabilité morale dans les rêves, mais il repousse cette opinion par ce motif peu sérieux que l’hypnotique ne conserve pas sa personnalité comme le dormeur. Nous croyons, au contraire, qu’il existe le rapport le plus étroit entre les effets produits par suggestion et l’état de rêve. La suggestion n’est pas autre chose qu’un rêve provoqué et dirigé par les assistants.

En somme, le somnambule n’est pas un automate, c’est une personne, et l’on conçoit qu’au point de vue purement théorique et moral, on pourrait le rendre partiellement responsable de ses actes. Les conclusions de M. Bouillier sont directement applicables à notre espèce.

Que faudra-t-il dire au point de vue pratique ? La société a-t-elle, oui ou non, le droit de se défendre contre le crime hypnotique ? Suffit-il qu’un assassin prouve qu’il a agi sous l’empire d’une suggestion pour que les juges aient le devoir de le faire mettre en liberté, et lui permettent de recommencer ? Évidemment, une pareille tolérance est inacceptable. Jusqu’ici, l’hypnotisme n’a figuré que très accidentellement dans les drames judiciaires. Mais demain, les choses peuvent changer, et la suggestion peut entrer couramment dans la pratique criminelle. C’est précisément ce qui arrive à Turin, où, dit Lombroso (Revue scientifique, 19 juin 1886), règne en ce moment une véritable épidémie d’hypnotisme. Il n’est pas possible que la société reste désarmée contre un pareil danger.