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ANALYSES.b. pérez. La psychologie de l’enfant.

plus d’une ; mais une exception à la règle lui paraît encore possible, dès dès qu’elle le concerne, ou du moins ce fait de la mort ne le touche plus, que s’est évanoui le sentiment d’effroi mal défini qui le faisait s’y intéresser. Et partant son ébauche syllogistique demeure à moitié chemin.

Sentiments. — On lira avec intérêt, dans ce chapitre, les pages où tend M. Pérez nous montre comment l’émotion, par le fait de l’habitude, à s’abstraire du moment présent, et comment les représentations s’en prolongent. L’enfant de cinq ans éprouve souvent des plaisirs ou des peines par anticipation. Mais il ne faut pas que le moment lui en paraisse bien éloigné. « Les mots demain, après-demain, rapprochent la distance presque jusqu’à aujourd’hui, quand il s’agit de plaisirs ; les mots la semaine prochaine jetteraient un froid considérable, » p. 233.

Les différences individuelles s’accusent beaucoup plus, a observé M. Pérez, entre cinq et sept ans, et l’expression plus parfaite des sentiments nous permet alors de juger mieux du caractère véritable de l’enfant. La part est ici difficile à faire entre ce qui est hérité et ce qui est acquis, et les transformistes n’ont pas hésité, comme on sait, à rattacher tel ou tel genre de crainte, par exemple, à des expériences ancestrales. Plus réservé, M. Pérez consent à dire que « la crainte est évidemment une émotion primitive et universelle, mais non pas… tel ou tel genre de crainte », p. 234. Le transformisme, en effet, nous fournit avec complaisance une sorte d’explication générale de tout ce qui, dans nos sentiments, apparaît primordial et irréductible ; mais cette explication où l’hypothèse parle mille langues ne fait souvent que nous délivrer du souci d’impuissance, et pour ma part, si j’approuve qu’on essaye de faire valoir ces importants facteurs de l’hérédité, de la sélection, etc., au delà du monde où s’en observent directement les effets, je ne me résigne pas à affirmer tout uniment que l’enfant a peur du loup qui a mangé grand-papa ».

Tout ce qui accroît, chez l’enfant, la perception des émotions sociales, accroît du même coup l’amour de soi. Je ne sais pas si M. Pérez n’est pas le premier à l’avoir si bien montré. Il a su faire encore, après Bain, une analyse intéressante du sentiment de la protection, qu’il compte avec la pitié pour les deux éléments principaux des sentiments humains chez l’enfant.

Parmi les sentiments supérieurs il étudie en premier lieu l’émotion esthétique. Un des éléments principaux en serait « cette transformation idéale que l’éloignement produit dans nos souvenirs de toute sorte », p. 254. Si sa mémoire est meublée d’impressions variées et de réminiscence facile, un enfant de trois ans possède déjà l’essentiel de l’émotion esthétique, puisqu’il voit son passé et qu’il en est à demi désintéressé. Ici encore, tout en faisant voir combien cette émotion complexe enferme d’éléments empruntés à la vie animale, intéressée, agissante de l’homme, M. Pérez ne fait pas fond aveuglément sur les tendances ancestrales invoquées par Spencer et par Schneider, et il porte de préférence son attention sur les impressions individuelles de tout genre qui ont pu s’ajouter à celles héritées de nos pères.