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fenêtre et fit mine de vouloir le jeter en bas. Un fait, cela n’est pas douteux, est remémoré plus facilement quand une émotion un peu vive y a été associée, à défaut d’impressions répétées, et M. Pérez explique d’ailleurs d’une façon générale ces récurrences étonnantes du souvenir par le simple développement de l’intelligence, qui fournit par degrés à nos souvenirs les circonstances nécessaires pour faire image.

M. Pérez observe très justement que « la mémoire intégrale est formée de mémoires partielles, qu’elle embrasse tout à la fois la mémoire des mots, celle des formes, celle des conceptions, des jugements et des liaisons d’idées, » p. 13. Ce fait m’a souvent frappé, que la mémoire musicale, chez l’adulte, est plus apte à retenir, soit le rythme, soit la hauteur des sons, soit l’enchaînement des sons, et qu’une organisation musicale n’apporte pas d’emblée une complète mémoire musicale. Sous quelles espèces abstraites pourrait-on ranger les formes diverses d’une telle mémoire concrète (M. Pérez m’eût fait plaisir de citer de nouveaux exemples) ? Peut-on même parler d’une mémoire générale ? On le peut, sans doute, en ce sens que nos images de diverse sorte deviennent le véhicule l’une de l’autre en vertu de l’association des idées, et, jusqu’à un certain point, il est donc une mémoire comme il est incontestablement des mémoires spéciales. M. Pérez pense pouvoir conclure que « de cinq à sept ans, ou plutôt à huit ans, la mémoire, ou l’ensemble des mémoires propres à chaque enfant, prend en général un accroissement notable, » p. 19. C’est surtout, ajoute-t-il, la facilité et la ténacité qui progressent à cette époque.

Après MM. Delbœuf, Brochard et Rabier, M. Pérez achève de ruiner le principe d’association trouvé par Bain dans la « similarité ». C’est seulement, écrit-il, « quand la loi de contiguïté ou d’habitude a fait son office, quand deux idées se sont succédé de façon à former un couple dans la conscience », que « nous pouvons juger qu’elles sont semblables ou dissemblables, » p. 30. Il adopte, sauf sur un point, les idées de M. James Sully sur le rôle du contraste. Tandis que, selon l’éminent psychologue anglais, le contraste aurait moins d’influence sur l’acquisition que sur le développement des idées, il aurait pour effet, selon notre auteur, « de mettre en relief, non seulement l’extraordinaire et le démesuré, mais aussi l’ordinaire et le banal, » p. 34.

Bain a dit qu’on peut apprendre utilement sans comprendre tout à fait. M. Pérez, sans la repousser, reproche à cette doctrine « de n’avoir pas assez indiqué la part qu’on peut faire à l’intelligence dans l’absorption des formules, » p. 41. Il conseillerait de cultiver d’abord la mémoire verbale pour elle-même, et la récitation des fables, pour laquelle il s’est montré très sévère, lui semblerait justifiée à ce point de vue. La mémoire verbale de l’enfant, observerai-je, emmagasine aussi ce qu’elle ne comprend pas bien. Le signe même d’un concret ne donne pas à tous ceux qui ont retenu le signe le même concret, et le signe et le fait s’entendent assez différemment selon la quantité de relations qu’ils soutiennent, pour chacun de nous, avec d’autres signes et d’autres