Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/43

Cette page n’a pas encore été corrigée
39
FÉRÉ.impuissance et pessimisme

fois à la Salpêtrière, nous faisons des expériences d’hypnotisme sur une nommée C…, hystéro-épileptique du service de M. Charcot. La malade est en état de somnambulisme provoqué. Je lui donne l’ordre de poignarder à son réveil M…, avec la lame de carton que nous lui mettons dans la main. Sitôt réveillée, elle se précipite sur sa victime et la frappe dans la région précordiale ; M… feint de tomber. Je demande alors au sujet pourquoi elle a tué cet homme ; elle le regarde fixement un instant, puis, frappée sans doute par la physionomie égrillarde de M…, avec une expression farouche : « C’est un vieux cochon, il a voulu me faire des saletés. »

Mais revenons aux expériences relatives à la soi-disant inhibition.

X… est en somnambulisme ; je lui enlève son fichu de laine que je pose sur le dossier de mon fauteuil, et je lui suggère qu’elle est incapable de le prendre et de le remettre sur ses épaules. Je la réveille, elle cherche son fichu, dit qu’elle a froid aux épaules, et elle se lève vivement pour prendre son vêtement ; mais sa main s’arrête au moment de le saisir, et elle se rassoit brusquement. Je lui demande pourquoi elle ne prend pas son vêtement. « Il me dégoûte, » dit-elle. Je prends le fichu, je m’approche d’elle, et je lui offre de le mettre moi-même sur ses épaules, lui expliquant qu’il n’a rien de dégoûtant, qu’il est fort propre, même à peu près neuf : elle se recule avec une expression d’angoisse. Je m’asseois en plaçant le fichu sur mes genoux et je me mets à écrire ; M. s’assoit à sa place, et, au bout de quelques minutes, dit spontanément : « J’ai froid aux épaules, je voudrais prendre mon fichu, je ne sais ce qui m’arrête ; il me semble de laine grossière, d’une vilaine couleur déteinte ; il me dégoûte, je serais incapable de le toucher. » Le fait est que quand je fais minè de le jeter sur elle, elle se précipite vers la porte avec une expression de terreur, elle se raidit, et je crois qu’il est temps de la plonger en léthargie pour éviter une attaque d’hystérie.

Cette expérience est intéressante en ce qu’elle nous montre une accentuation de l’interprétation délirante qui se greffe sur l’impossibilité d’agir tout renard trop petit pour atteindre les raisins en arrive nécessairement à dire : « Ils sont trop verts. »

Cette interprétation intervient chez les hypnotiques, soit qu’il s’agisse d’un acte exécuté en conséquence de la représentation mentale trop intense d’un mouvement (idée spasmodique, impulsion irrésistible), soit qu’il s’agisse d’une inertie résultant d’une représentation motrice insuffisante (le non-savoir, le non-vouloir, le non-