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REVUE GÉNÉRALE.penjon. Psychologie d’Aristote

pliquent encore aujourd’hui, pour l’analyse mentale, notre connaissance de l’univers.

M. Wallace reconnaît lui-même que cette interprétation pourrait passer pour le résultat d’une tendance, assez répandue, à faire d’un problème ancien un problème moderne. Il se défend d’avoir cédé à cette tendance et d’avoir dénaturé la pensée d’Aristote, en s’appuyant sur les textes mêmes de ce philosophe. Il fait remarquer l’erreur que l’on commet d’ordinaire d’étudier séparément le quatrième et le cinquième chapitre du troisième livre, dans le Traité de l’âme, comme si l’auteur parlait dans l’un d’une raison et d’une autre raison dans le second. La vraie question, dans les deux livres, est de savoir comment la raison pense le monde, et la réponse est que c’est seulement en vertu d’une communauté entre la raison et les choses, ce κοινόν est la raison créatrice elle-même, qui, étant à la fois dans nos esprits et, d’une manière immanente, dans les choses, comble l’abîme entre les objets extérieurs et l’intellect passif.

Il n’est pas de théorie, peut-être, dans l’histoire de la philosophie, qui ait donné lieu à des explications plus différentes. Les anciens commentateurs et les plus récents l’ont entendue presque chacun à sa manière. Ils peuvent cependant se diviser, d’une manière générale, en idéalistes et en empiriques. M. Knauer défend la thèse plutôt empirique de saint Thomas la raison créatrice n’est guère pour celui-ci que la faculté d’abstraire des individus concrets les formes générales[1] ; l’intellect agent et l’intellect passif sont des parties ou des aspects de l’âme humaine ; mais, tandis que l’esprit considéré sous son aspect passif est une pure possibilité de recevoir des formes, l’intellect agent éclaire, illumine les données de l’imagination, qui sont elles-mêmes individuelles, et en sépare par abstractions les espèces intelligibles[2]. La préoccupation des perfections divines devait prédisposer, il me semble, le docteur angélique à se contenter de cette doctrine : « Intellectus humanus, qui est infimus in ordine intellectuum et maxime remotus a perfectione divini intellectus, est in potentia respectu intelligibilium, et in principio est sicut tabula rasa, in qua nihil est scriptum, ut dicit philosophus. Quod manifeste apparet ex hoc quod in principio sumus intelligentes solum in potentia, postmodum autem efficimur intelligentes in actu[3]. » Mais il ne pouvait l’adopter sans se séparer du philosophus, qui attribue expressément, et en plusieurs passages, à l’intellect agent l’immortalité et même l’éternité. M. Chaignet résume sommairement les interprétations de ses devanciers. Ses études personnelles le conduisent à une

  1. « Oportet igitur ponere aliquam virtutem ex parte intellectus, quæ faciat intelligibilia in actu per abstractionem specierum a conditionibus materialibus ; et hæc est necessitas ponendi intellectum agentem. » (Summa theol., quæst. 79, cité par M. Knauer, Grundlinien, p. 193.)
  2. «  Phantasmata et illuminantur ab intellectu agente, et iterum ab eis per virtutem intellectus agentis species intelligibiles abstrahuntur. » (Summa theol., quæst. 85, art.  1, Grundlinien, p. 192.)
  3. Summa theol., quæst. 79, Grundlinien, p. 193.