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REVUE GÉNÉRALE.penjon. Psychologie d’Aristote.

pression, et, après, elle lui est en quelque sorte identique, ou plutôt nous devons encore ici recourir à une manière de parler que nous avons employée déjà : sans doute la faculté et l’objet diffèrent par leur manière d’être (τῷ εἶναι) ; mais dans l’acte de la perception, ils coïncident et sont alors comme les deux aspects ou les deux faces d’un même phénomène. Il semble qu’il n’y ait qu’un pas de cette doctrine à la négation de toute réalité extérieure. Aristote se borne à constater la relativité de la connaissance. Il emploie des termes qui lui sont propres : il faut, dit-il, que le sujet, dans la perception, occupe un point moyen (μεσότης) par rapport aux objets de la sensation. « La sensation consiste dans la détermination du rapport entre le plus et le moins, dans la mesure de l’excès et du défaut. Mais si la différence est trop grande entre la forme de l’agent et celle du patient, le rapport n’est plus possible, l’équilibre n’est plus possible, et la violence du mouvement détruit le sentiment. La sensation est le milieu entre deux extrêmes, commensurables l’un avec l’autre, c’est le moyen terme, et par conséquent la mesure de l’opposition des qualités sensibles[1]. » Les sens sont essentiellement une faculté critique ; leur office est de distinguer entre les qualités des objets, et pour cela ils doivent être également éloignés eux-mêmes de toutes ces qualités, occuper, comme en équilibre, cette position moyenne, d’où les dérange, en les rendant incapables de sentir et de percevoir, tout excès dans la qualité des objets. Enfin la perception n’a pas, à proprement parler, le particulier pour objet. Elle dépasse le fait immédiat, et saisit en lui l’universel. Pour rappeler l’exemple d’Aristote, ce n’est pas Callias, mais Callias comme homme que nous percevons.

L’étude spéciale des différents sens dans le Traité de l’âme est à la fois physiologique et psychologique. Dans un passage, d’ailleurs inintelligible, du troisième livre, Aristote démontre qu’il n’y a pas plus de cinq sens. Il les a passés en revue dans le second livre, s’occupant tour à tour de l’organe, de l’objet propre à chacun, et de l’intermédiaire par lequel l’objet fait impression sur l’organe. Il découvre entre eux une hiérarchie analogue à celle des différentes formes ou facultés de l’âme. Le toucher est présupposé par tous les autres sens, comme les capacités végétatives sont le fondement sur lequel reposent les autres facultés. C’est le sens le plus nécessaire. Le goût vient ensuite. Ils sont l’un et l’autre indispensables à la vie de l’animal ; deux autres, la vue et l’ouïe, servent plutôt au progrès moral, au développement intellectuel ; ils ne sont plus seulement τοῦ ζῆν ἕνεκα, mais τοῦ εὖ ζῆν. L’odorat est plus difficile à classer ; il se rapporte sans doute lui aussi à la nutrition ; mais il est moins nécessaire que le toucher et le goût. Aristote les étudie en suivant, non pas l’ordre historique, mais l’ordre de la nature, c’est-à-dire en allant du plus élevé, la vue, au plus répandu, le toucher.

  1. Voir le résumé magistral de ces théories dans l’Essai sur la Métaphysique d’Aristote, T. I, livre 3, chap. II. Les conclusions idéalistes de M. Ravaisson ne sont pas très différentes de celles de M. Wallace.