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par exemple, n’est vraiment un œil qu’autant qu’il peut voir ; la vision est son âme, en quelque sorte, et un œil incapable de vision n’est un cil que par synonymie. Or la raison d’être, l’explication de la hache et de l’œil ne sont que dans ces fins, ou de couper, ou de voir ; il en est de même des rapports de l’âme et du corps.

Quelle que soit encore l’insuffisance, peut-être, de cette théorie, telle que nous pouvons déjà la résumer, n’est-elle pas aussi bonne que l’occasionalisme ou l’harmonie préétablie ? Elle a le mérite de ne pas détruire ce « tout naturel » que forment les êtres vivants, de ne pas distinguer, du moins en certains d’entre eux, deux substances que l’on ne sait ensuite comment rapprocher. Elle repose sur un sentiment très vif de l’union de ces deux termes qui apparaissent comme essentiellement corrélatifs. « L’âme, dit M. Wallace, dont j’ai reproduit les principales explications, est la fin immanente ou la déterminaison immanente du corps ; le corps n’est que l’expression ou la réalisation de l’âme ; l’âme est l’idéalisation des organes du corps, tandis qu’ils réalisent les pouvoirs de l’esprit. Ou bien, si l’on considère l’âme comme la perfection et l’achèvement de ce qui répond à l’organisation du corps, le corps, d’un autre côté, est l’explication, ou le développement de la nature de l’âme. »

III

Mais l’important n’est pas de s’attacher à la nature abstraite de l’âme, nous le savons déjà ; il nous faut surtout, d’après Aristote, étudier les pouvoirs ou les facultés où se manifeste son activité ; nous y trouverons la confirmation de la théorie dont la définition de l’âme est le résumé.

Ces diverses facultés, en effet, constituent chacune comme une âme d’un certain degré, et dans l’être, comme l’homme, où elles sont réunies, chacune d’elles doit être considérée comme un « moment » du développement total. La psychologie d’Aristote, on le voit ici, se relie étroitement à la biologie. Personne, peut-être, n’a eu, même dans les temps modernes, une idée plus claire de la continuité (συνέκεια) de la vie sous toutes les formes où elle se manifeste. Il avait remarqué que la nature s’élève, par un progrès ininterrompu, des êtres inanimés aux êtres animés, en passant par ces êtres qui vivent sans être encore des animaux, comme les zoophytes. Il avait aperçu les analogies des différentes espèces d’animaux ; il ne voyait pas, au point de vue biologique, autre chose qu’une différence de degré entre l’animal et l’homme. Dans l’homme fait, seulement, qui est comme le but et le centre de la création, les formes jusqu’alors implicites et imparfaites prennent leur entier développement. Au point de vue psychologique, il y a, comme nous l’avons dit, autant d’âmes différentes qu’il y a de