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REVUE GÉNÉRALE.penjon. Psychologie d’Aristote

possession des vérités scientifiques, et, de l’autre, dans l’application de ces vérités à de nouvelles recherches. En d’autres termes, la connaissance qui fait atteindre à l’homme, considéré comme être raisonnable, la réalisation complète de ses facultés, peut sommeiller dans l’âme ou s’employer, en pleine conscience, à diverses applications. Or c’est dans le premier de ces sens que l’âme est l’entéléchie du corps, et ainsi s’explique la formule d’Aristote : « Si nous voulons, dit-il, donner de l’âme une définition qui convienne à toutes les âmes, nous dirons qu’elle est l’entéléchie première d’un corps naturel organisé (ἐντελέχεια ἡ πρώτη σώματος φυσικοῦ ὀργανικοῦ) ». Elle est, en outre, la réalisation du caractère général de ce corps, l’expression de ce qu’il était et de ce qu’il est (τί ἦν εἶναι), l’idée du corps. C’est par elle qu’il peut être défini lui-même, par elle seule que nous pouvons l’expliquer et le comprendre. Et ainsi Aristote prend le contre-pied de la psychologie physiologique moderne, qui cherche dans l’étude des processus matériels l’explication de l’esprit.

Beaucoup de commentateurs et, parmi eux, M. Barthélemy Saint-Hilaire, comme le fait remarquer M. Wallace, s’y sont trompés. L’auteur du Περὶ ψυχῆς n’a pas confondu l’âme et le corps : il les a considérés comme deux facteurs d’un tout, nécessaires l’un à l’autre, de telle sorte cependant que l’âme fait la vérité de leur union. Il ne nie pas un seul instant, et nous le verrons bien à propos de la raison, qu’il puisse y avoir des actes de pensée indépendants de l’organisation matérielle. Ce qu’il soutient, c’est que l’âme représente le vrai sens du corps, de telle sorte qu’on peut dire hardiment du corps qu’il n’existe pas sans l’âme, et que par l’âme seule les processus corporels atteignent leur véritable signification. « Nous ne devons pas plus nous demander, dit-il, si l’âme et le corps sont un seul et même être, que nous demander si la cire et l’empreinte du cachet ne font qu’un, ou rechercher d’une manière générale si la matière se confond avec ce dont elle est la matière. » Dans ces différents cas, nous avons affaire aux deux aspects complémentaires d’un seul et même objet. Ce n’est pas qu’Aristote se fasse ici le devancier de Spinoza qui ne verra dans le corps et l’âme que des modes de deux attributs différents d’une substance unique ; il ne dirait pas non plus, avec certains philosophes anglais de nos jours, qu’un processus mental n’est qu’un autre aspect d’un processus physique. Pour lui, le corps n’a de réalité que dans l’âme, et les fonctions mentales, tout en étant le terme de certaines fonctions physiques, sont cependant présupposées par ces dernières, et, sans elles, il n’y aurait pas d’organisation à proprement parler. Nous trouvons, dans le Traité de l’âme, des comparaisons très claires pour expliquer cette surbordination : l’âme d’une hache (si toutefois on peut parler d’une âme quand il s’agit d’un objet artificiel) est dans le pouvoir que cet instrument a de couper, et une hache qui ne pourrait pas couper n’aurait de la hache que le nom. Ce qui est vrai, d’ailleurs, du corps tout entier, l’est aussi des parties du corps, et un œil,