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CARRAU.la philosophie religieuse de berkeley

leurs été plus ou moins nettement aperçue par nombre de grands esprits, et il est permis de croire que sans elle toute philosophie de l’univers est incomplète. Depuis l’âme du monde de Platon, jusqu’à la nature de Lamarck, elle tient une place assez importante dans l’histoire de la pensée métaphysique pour qu’on sache gré à Berkeley d’avoir renoué sur ce point le fil de la tradition qu’avait brisé Descartes.

La philosophie religieuse de Berkeley a cette force et cette faiblesse qu’elle prête peu à la discussion. Elle se maintient, comme à dessein, dans les termes les plus généraux. Dieu est unité, intelligence, vie : une telle formule concilie à la fois les Alexandrins, les Stoïciens et même, quoi qu’en dise Berkeley, Spinoza. Dieu est le principe de l’ordre universel : les partisans seuls de l’aveugle nécessité refuseront d’y souscrire. La large tolérance de Berkeley n’excommunie pas le panthéisme, bien qu’elle affirme que le fond de l’être, en Dieu comme en nous, c’est l’indivisible unité de la personne. Elle vise les preuves trop scolastiques, les précisions qui provoquent la réfutation ou conduisent aux antinomies. Elle n’est pas mystique, car elle prétend tenir compte et des faits de la science et des intérêts supérieurs de la pratique ; et si, à la suite des Alexandrins, elle essaye de pénétrer jusqu’au fond de la nature divine, elle ne s’abîme pas, avec eux, dans l’extase. Elle ne dissipe pas tous les doutes, elle ne convaincra certes pas l’incrédulité endurcie d’un Collins ; mais à celui que son éducation, les tendances de sa nature morale, un commencement de réflexion personnelle ont détourné de l’athéisme, elle fournira peut-être de nouveaux et sérieux motifs de croire philosophiquement en Dieu.

L. Carrau.