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se résout : celle des lois, dans l’intelligence qui les pense ; celle de l’éther, dans la puissance qui le meut.

La philosophie de Berkeley aboutit donc à un dualisme spirituel : les esprits finis, l’Un ou le Bien. L’être du monde se partage, si l’on peut dire, entre ces deux termes : aux esprits finis, les apparences phénoménales ; à Dieu, l’activité et la raison diffuses dans le Cosmos. Mais les esprits finis sont eux-mêmes les créatures de Dieu, ils sont réels, actifs, pensants, par l’unité, la causalité, les idées et les liaisons d’idées qu’ils tiennent de lui. Une critique superficielle pourrait accuser Berkeley d’incliner au panthéisme ; de fait, il a négligé de marquer profondément la limite qui sépare les âmes créées de leur auteur. Ne lui en faisons pas de reproche : cette démarcation précise, nulle métaphysique religieuse n’est en état de la faire. Il y a du divin dans l’homme : voilà ce qu’il faut affirmer ; mais la mesure en est variable, et l’homme peut augmenter ou dominer cette part de divinité. Disons même avec Berkeley qu’il y a du divin dans le monde, que la nature est divine. Mécanisme et matière sont un rideau d’apparences que la vue de l’esprit perce et dissipe : au fond, l’esprit ne pense, ne reconnaît, n’accepte que soi. La philosophie de l’esprit, c’est proprement la philosophie.

Nous ne pouvons songer à discuter dans le détail les théories de la Siris ; ce serait entreprendre l’examen du platonisme, du néoplatonisme, de presque toute la philosophie grecque. Quant à l’hypothèse du feu pur invisible, si l’on écarte les applications particulières que Berkeley en a faites, elle ne paraît pas entièrement méprisable. On admet aujourd’hui un fluide qui n’est pas l’atome et qui seul explique les phénomènes de chaleur et d’affinité[1]. Ce fluide, Berkeley l’appelle, comme nous, l’éther. Peut-être est-ce à lui qu’il faudra demander aussi le secret des faits biologiques de l’énergie vitale, et de ces mystérieuses communications psychiques actuellement étudiées sous le nom de suggestion. Quoi qu’il en soit, le mécanisme atomistique ne suffit pas à rendre compte de la multiplicité des apparences qui constituent le monde sensible, de la diversité des forces que ces apparences manifestent, ni surtout de la vie. Aura-t-on recours à l’homogène primitif d’Herbert Spencer ? La difficulté sera encore de faire sortir la différence, la variété, les formes et qualités spécifiques, l’organisation, le progrès en un mot, de ce qui ne les contient pas.

La nécessité de concevoir une sorte d’intermédiaire entre la cause suprême et l’infinie multitude des êtres et des faits passagers a d’ail-

  1. V. La matière, les forces et l’affinité, par A. Gautier, Revue scientifique, 19 déc. 1885.