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CARRAU.la philosophie religieuse de berkeley

d’Hylas et de Philonoüs, de l’Alciphron pouvait être satisfait de son œuvre : au moment d’écrire la Siris, il ne l’était plus. Non que l’immatérialisme eût succombé sous les coups de ses adversaires : ceux-ci étaient réduits au silence. C’est Berkeley lui-même qui dut apercevoir les lacunes et les points faibles de sa propre doctrine. Elle n’était pas fausse, mais incomplète. Il avait eu trop aisément raison, il avait arbitrairement éliminé tout ce qui pouvait embarrasser l’élégante et quelque peu superficielle ordonnance d’un système où la métaphysique devait tenir aussi peu de place que possible.

Deux points essentiels avaient été omis, sur lesquels il fallait s’expliquer, sous peine de laisser l’immatérialisme sans réponse en face des exigences les plus pressantes et les plus légitimes.

Qu’est-ce que la vie ? Quelles en sont l’origine et la cause suprême ?

Qu’est-ce que la vie ? — L’immatérialisme triomphait facilement de la prétendue substance en soi des objets inanimés ; toutes les qualités par où ils se manifestent devenant nos idées, que reste-t-il d’eux ? Ils ne sauraient évidemment exister pour eux-mêmes : leur esse est percipi. Quand il s’agit de notre esprit, l’activité qui lui est essentielle s’oppose si nettement à la passivité de la matière brute, que la définition de l’existence devient précisément l’inverse de ce qu’elle était tout à l’heure ; pour l’esprit, esse est percipere. Mais n’y a-t-il donc rien entre ces deux extrêmes ? Et les animaux ? Et les plantes ? Les animaux, surtout les animaux supérieurs, ne sont-ils pas, en quelque mesure, percevants ? N’y a-t-il pas activité, force, donc esprit, partout où il y a instinct, mouvement spontané, croissance, vie, en un mot ? Que sont alors ces êtres qui pour nous n’existent qu’en tant que groupes d’idées, mais qui, s’ils sont capables de perception, existent aussi pour eux-mêmes ? Tout leur être c’est d’être perçus, et cependant ils perçoivent ; bien plus, ils nous perçoivent, et alors, pour être conséquent avec le principe de l’immatérialisme, il faudra dire que tout notre être consiste à être perçus par eux ! Mais si notre être, à nous, n’est pas dépendant de la perception que les autres esprits ont de nous, qui ne voit qu’il en doit être de même au moins des animaux supérieurs, supposé qu’ils soient plus que de simples machines ?

Mais rien ne devait répugner davantage à Berkeley que l’automatisme cartésien. Lui qui ne voulait pas du mécanisme dans le monde de la matière brute, comment l’aurait-il accepté dans celui de la vie et de l’animalité ? Quoi ! le plus simple mouvement supposera un moteur spirituel, et la matière, qui n’est rien que nos idées, pourrait produire ces complexités merveilleuses des mouvements adaptés qui constituent la vie instinctive de l’animal ! Tout idéaliste