Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/390

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
386
revue philosophique

L’amour de soi est de tous les principes le plus universel et le plus profondément imprimé dans nos cœurs. Ce qui augmente notre bonheur, nous l’appelons bien ; mal, ce qui le diminue ou le détruit. Le jugement s’emploie uniquement à distinguer l’un de l’autre, et nos facultés n’ont d’autre objet que de fuir celui-ci, de rechercher celui-là. Au début, le plaisir sensible immédiat nous paraît le seul bien ; nous le poursuivons uniquement. Plus tard, à mesure que les facultés supérieures se développent, nous découvrons des biens qui l’emportent de beaucoup sur les satisfactions de la sensibilité physique. Dès lors, nos jugements se modifient, nous apprenons à considérer les conséquences éloignées d’une action, les biens ou les maux futurs que peut nous apporter le cours des événements. Nous devenons capables de sacrifier des plaisirs présents et fugitifs à des biens plus grands et plus durables, fussent-ils trop éloignés ou d’une nature trop raffinée pour affecter nos sens.

Mais la terre, la durée et tout ce qui s’écoule dans son sein ne sont rien en comparaison de l’éternité. La raison nous dicte que nous devons diriger notre conduite uniquement en vue de nous assurer un bonheur éternel. « Et puisqu’il est évident par la lumière naturelle qu’il y a un esprit souverain qui sait tout, et peut seul nous rendre pour toujours heureux ou misérables, il s’ensuit que c’est seulement en se conformant à sa volonté, non en se proposant n’importe quel avantage temporel qu’un homme agissant selon les principes de la raison devra régler ses actes. La même conclusion résulte avec évidence des rapports qui existent entre Dieu et les créatures. Dieu a créé toutes choses et les conserve. Il est, de droit indiscutable, le grand législateur de l’univers, et non moins que l’intérêt, tous les liens du devoir imposent au genre humain l’obéissance à ses lois [1]. »

Déterminer ce que peut vouloir la volonté divine, quels sont et le dessein général de la Providence à l’égard de l’humanité, et les voies les plus propres à l’accomplissement de ce dessein, — voilà par où seulement nous pourrons découvrir les lois de la nature. Les lois étant en effet les règles directrices de nos actions en vue de la fin que s’est proposée le Législateur, pour connaître les lois de Dieu, il faut d’abord rechercher la fin qu’il veut atteindre par le moyen des actions humaines. Or Dieu étant l’infinie bonté, la fin qu’il poursuit ne peut être que bonne. Comme il jouit en lui-même de toute la perfection possible, cette fin est nécessairement, non son propre bien, mais celui de ses créatures. Mais les actions des hommes se termi-

  1. Passive obedience, § 6.