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minée par la conscience distincte que nous avons d’être cause de certaines modifications internes : le reste est la part de la causalité divine. Le sens intime révèle à la fois la limite et les rapports entre Dieu et nous.

Mais c’est là un des points faibles du système. Il est aujourd’hui démontré qu’une perception se compose d’une multitude de perceptions insensibles, que de la conscience à l’inconscience, il y a, non pas un abîme, mais une infinité de transitions ; on ne saurait plus dire où commence, où finit le domaine de l’activité psychique proprement dite. Dès lors, comment déterminer avec rigueur ce qui, dans le moi, est de nous, ce qui n’en est pas ? Je veux que Berkeley ait prouvé la non-existence de la matière en soi : c’est la distinction entre l’âme et Dieu qui devient difficile. La conscience n’étant plus une quantité fixe ni un critérium suffisant, qui nous assure que ce nous rapportons à Dieu n’est pas encore en nous l’œuvre d’une activité qui est nôtre sans que nous le sachions ? La difficulté d’ailleurs n’est pas particulière au système de Berkeley ; elle est commune à toutes les philosophies qui admettent à la fois entre Dieu et l’homme un rapport et une distinction. Ni Descartes, ni Malebranche, ni même Leibniz, ne l’ont résolue. Berkeley a sur eux cet avantage d’avoir affirmé, sinon démontré, l’existence d’une causalité propre à l’âme humaine et du libre arbitre.

II

Connaître que Dieu existe, est peu de chose, si l’on ignore quel il est Berkeley est un prédicateur et un apôtre, la spéculation qui ne se tourne pas à bien faire n’a nul prix à ses yeux. Évêque, il voit les progrès de l’athéisme, et suit avec angoisse la décadence des mœurs, dont pour lui l’irréligion est la cause ; patriote, il veut guérir une corruption qui menace la prospérité, la grandeur, l’existence même de son pays. La croyance en Dieu qu’il s’agit de ressusciter dans les âmes doit être telle qu’elle ait une influence pratique ; il faut donc avant tout que ce Dieu, l’homme soit capable de s’en faire une idée.

Philosophes et théologiens, par crainte de l’anthropomorphisme, ont souvent insisté sur l’incompréhensibilité de la nature divine. Au temps de Berkeley, paraît-il, les libres penseurs s’en faisaient une arme contre la religion. Ils invoquaient l’autorité du prétendu Denys l’Aréopagite pour qui Dieu est au-dessus de toute essence et de toute