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LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE DE BERKELEY


Nous n’avons pas l’intention d’exposer ici dans son ensemble la philosophie de Berkeley. C’est un travail qui a été fait et bien fait ; l’excellent ouvrage de M. Penjon, les études si complètes de M. Fraser sont connus de quiconque s’intéresse à l’histoire de la pensée philosophique en Angleterre. Notre but est plus modeste : dégager de l’œuvre de Berkeley les doctrines proprement religieuses, les présenter sous une forme systématique, en apprécier les conséquences et la valeur.

En réalité, ces doctrines constituent la philosophie tout entière de notre auteur. La vie intellectuelle de Berkeley est absorbée par cette tâche unique : mettre au-dessus de toutes les négations, soit directes, soit détournées, l’existence de Dieu. Les matérialistes et les athées la nient directement ; les libres penseurs et les sceptiques, indirectement. Berkeley ne cesse de combattre pour cette cause sacrée ; il réfute et démontre en même temps ; il est un polémiste plein de ressources, un dogmatique plus enthousiaste que rigoureux. Et il lui est arrivé ce qui arrive souvent : ses réfutations ont eu meilleure fortune que ses démonstrations. On n’a vu en lui que l’habile adversaire de la substance matérielle, le père de l’idéalisme moderne. Les positivistes l’ont aussi revendiqué pour un des leurs : les sceptiques mêmes se réclament de lui. Hume et Stuart Mill prétendent le continuer. Je sais qu’il est toujours possible, au nom de la logique, d’imposer à un philosophe les conséquences qu’il eût le plus énergiquement repoussées : c’est un procédé de discussion aussi commode que peu charitable. On réussit par là, presque à coup sûr, à précipiter un système du subjectivisme dans le scepticisme, du scepticisme dans le nihilisme, du nihilisme dans l’athéisme et dans l’immoralité la plus noire. Les médecins de Molière nous ont familiarisés avec ces enchaînements de conséquences effroyables. Berkeley a nié la matière ; donc il devait, d’accord avec ses principes, nier l’esprit,