Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/379

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
375
SOREL.sur les applications de la psycho-physique

rents peuples. La psycho-physique, qui analyse les effets esthétiques et les étudie dans leurs éléments simples et mesurables, est bien armée pour rechercher l’origine des associations d’idées qui déterminent la plus grande partie de nos jugements esthétiques.

Il faut bien répéter en terminant que la psycho-physique n’a pas la prétention de donner des formules du beau, grâce auxquelles on ferait de belles œuvres, comme on fait de la pâtisserie ; elle se borne à un rôle infiniment plus modeste, comme je crois l’avoir suffisamment montré ; elle cherche à déterminer nos sensations pour donner une base scientifique aux raisonnements esthétiques. D’ordinaire, rien n’est plus difficile à suivre que ces discussions, parce que les contradicteurs ne peuvent s’entendre sur la signification exacte des termes et qu’ils ne peuvent exprimer les relations que par des formules prodigieusement vagues : ce défaut provient de l’absence de toute étude vraiment scientifique des jugements ; la psycho-physique comblant cette lacune mérite d’être accueillie avec faveur et étudiée par les artistes.

La formule de Fechner ne semble pas devoir rendre de grands services pour l’avenir de la science : mais le grand observateur aura eu du moins le mérite d’avoir familiarisé les esprits avec l’idée de la mesure de la sensation. Cette notion paraît tout d’abord si paradoxale qu’on est tenté de la rejeter. Cela tient un peu à notre éducation psychologique, car nos anciens n’en auraient pas été autant choqués que nous. Leibniz s’est permis de comparer la sensation à l’excitation comme la projection à l’objet, ce qui comprend implicitement l’existence d’une formule mathématique reliant la sensation à l’excitation. L’utilité de ces recherches a été peu remarquée tout d’abord, parce que c’est depuis peu de temps seulement qu’on a cherché à discuter l’esthétique comme une science susceptible de précision. Je crois avoir bien démontré que l’on ne pourra avancer dans cette voie sans admettre l’existence des lois psycho-physiques.

Georges Sorel.