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SOREL.sur les applications de la psycho-physique

moyen âge démontre que les constructeurs se sont guidés par des procédés géométriques, il y a mieux à faire que de nier la valeur de la théorie ; il faut produire d’autres méthodes. Ce ne sont pas assurément les œuvres contemporaines qui sont de nature à ébranler le système si bien développé par M. Viollet-le-Duc.

Ce court exposé nous conduit à dire que dans toute composition architecturale les harmonies de formes et de couleurs ne sont pas le produit du hasard et qu’elles sont soumises à des règles. Ce résultat serait inadmissible, s’il n’y avait des lois déterminant nos sensations. Je conclus en conséquence que le principe des recherches de Fechner est légitime, et qu’il est nécessaire pour soumettre à l’analyse nos jugements esthétiques.

Beaucoup d’artistes n’aiment pas que les philosophes parlent de leurs affaires : aussi je me suis continuellement appuyé sur l’autorité d’un maître dont la science et le goût sont également incontestables ; je veux maintenant montrer qu’il y a des problèmes commerciaux dans lesquels ces considérations ont de la valeur. On discute souvent sur la comparaison de la lumière électrique, agissant sous forme de gros foyers, et du gaz. Beaucoup de personnes se plaignent du mauvais effet produit par l’électricité qui aveugle d’un côté et jette de l’autre des lueurs blafardes. Il est impossible de s’entendre, parce que la question est mal posée : un ingénieur justement renommé dans l’industrie du gaz, M. Servier, a essayé de résoudre le problème de l’éclairage des grandes surfaces sans tenir compte de la psycho-physique : il n’a pu arriver à des résultats concluants ; il ne s’agit pas en effet seulement d’obtenir un éclairage minimum déterminé, mais surtout de réaliser une harmonie dans l’éclairage. Tout le monde comprend que, pour atteindre ce but, il faut dépenser beaucoup plus de lumière avec les gros foyers qu’avec les petits, mais je ne sache pas qu’on ait encore fait des études pour arriver à déterminer la loi de l’éclairage.

Je me sépare complètement des partisans de Fechner quand ils admettent que toutes nos sensations sont soumises à une seule loi. Cela me paraît absolument contraire aux véritables principes ; les phénomènes étudiés sont extrêmement complexes, et on ne peut espérer posséder qu’une loi empirique, applicable dans les limites où les besoins de la pratique en rendent l’usage utile ; dans ces conditions il doit exister autant de formules différentes qu’il y a d’ordres de sensations. En physique, on trouve les mêmes difficultés lorsque, par exemple, on veut exprimer la tension des vapeurs en fonction de la température ; il ne suffit pas de modifier les coefficients, il faut au moins une formule par liquide.