Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/374

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
370
revue philosophique

limite l’erreur peut prendre toutes les valeurs possibles. Il faut encore observer que la valeur constante de l’erreur relative varie suivant les individus et, sur chaque individu, suivant son état de fatigue ou d’excitation. Si on possédait une formule exacte, ces variations amèneraient à se contenter d’une approximation, et autant vaut dès lors se borner à une expression simplifiée.

La loi de Fechner présente un caractère tout différent de celle de Weber : dans cette dernière, on compare deux excitations que la sensation juge égales, tandis que dans la première on mesure la sensation même. On objecte que cette quantité n’est pas mesurable, ni même définissable, d’une manière mathématique. Cette difficulté n’a pas l’importance qu’on y attache habituellement. Tout le monde reconnaît que l’on a des sensations fortes ou faibles, par suite, qu’il y a là un élément susceptible de recevoir un qualificatif dans l’ordre des grandeurs. Si la loi de Fechner était en concordance suffisante avec les faits, si elle offrait un intérêt pratique considérable, on en serait quitte pour définir la sensation par sa valeur tirée de la formule ; pareil procédé a été employé bien des fois dans la science ; la seule précaution à prendre serait de ne plus employer le mot sensation dans un sens différent de celui qui résulterait de la définition mathématique.

Fechner a déduit sa loi de celle de Weber d’une manière incorrecte, mais cela a peu d’importance, et dans bien des cas on est arrivé par des méthodes aussi mauvaises à d’excellents résultats.

La formule de Fechner ne me parait pas avoir été discutée jusqu’ici au véritable point de vue auquel il faut se placer. Elle me semble née logiquement de l’observation des intervalles musicaux ; il faudrait nier l’évidence pour soutenir que depuis tant de siècles, en basant le système musical sur des intervalles, on n’a pas obéi à une loi de notre jugement ; la formule logarithmique rend parfaitement compte de ce fait que la différence musicale correspond à un rapport entre des quantités physiques ; elle exprime sous forme algébrique le système qui sert de base à l’esthétique de l’ouïe.

C’est seulement dans la musique qu’il existe une échelle parfaitement déterminée pour classer les perceptions. Partout ailleurs, il est difficile de dire avec précision ce qu’on entend par une différence de sensation. Cependant la lumière présente quelque chose d’analogue dans le système des couleurs. Newton avait essayé de les classer suivant une formule empruntée à l’acoustique ; sa théorie n’est plus admise, mais de nombreux efforts ont été tentés pour produire des catégories utilisables dans la pratique des arts.

Les couleurs nous impressionnent d’une manière beaucoup plus