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soit sonore, que le chant soit renforcé, car autrement autant vaudrait chanter en plein vent ; mais d’autre part, il faut que les sons résonnants ne troublent pas l’audition. Dans une pièce trop sonore un professeur, en parlant bas et lentement, peut se faire entendre sans fatigue : dans un théâtre lyrique, on ne peut pas recourir à ce subterfuge ; il faut qu’un son ne produise pas de résonances venant troubler le son suivant. Pour traiter à fond ce problème il faudrait connaître non seulement très bien l’acoustique physique, mais encore les lois de nos sensations.

L’orchestre n’est qu’un immense instrument produisant un grand nombre de sons simultanés qui doivent se fondre dans notre sensation. L’auditeur étant à des distances différentes des divers instruments ne saurait percevoir les sons mathématiquement réunis, mais les lois de notre constitution permettent une certaine tolérance. Les musiciens luttent depuis longtemps contre la tendance que l’on a à élargir continuellement la scène, parce qu’ils ont bien reconnu l’impossibilité qui en résulte pour un certain nombre de spectateurs d’entendre convenablement l’orchestre.

La finesse de notre organe auditif paraît singulièrement diminuée lorsque l’œil est vivement excité et surtout qu’il arrive près de la fatigue. Goethe propose, dans Wilhem Meister, de dissimuler l’orchestre, afin que l’auditeur ne soit pas distrait par les mouvements des exécutants ; R. Wagner non seulement cache l’orchestre, mais encore réduit l’éclairage de la salle afin de donner plus de vigueur à nos jugements auditifs.

Lorsque l’orchestre est enfermé dans une boîte sonore (on peut voir une disposition de ce genre aux Bastions, à Genève), il se produit un son résonnant qui se superpose à tous les autres et leur donne du moelleux : la fusion de l’orchestre est plus parfaite que s’il jouait en plein vent. Je pense qu’à Bayreuth les exécutants sont dans des conditions à peu près analogues. Cet effet me paraît inexplicable par la physique seule.

Chaque fois qu’on ouvre un théâtre nouveau, il s’élève de nombreuses discussions sur la valeur de la salle : les arguments présentés de part et d’autre sont en général extrêmement vagues. Il ne semble pas qu’on ait soumis jamais à une étude complète les effets du son dans un théâtre ; le problème n’est donc pas encore résolu au point de vue de la physique ; je crois avoir montré, par les exemples ci-dessus, qu’il faudrait également tenir compte des lois sensorielles.