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FÉRÉ.impuissance et pessimisme

aboulique qui tout d’abord a éprouvé une certaine difficulté à vou loir prendre une plume pour écrire, et qui peu à peu en est arrivé à être incapable de le faire, même lorsqu’une voix étrangère lui affirme avec insistance que ses muscles sont parfaitement en état d’exécuter le mouvement. Par quels caractères distinguera-t-on son impotence d’une paralysie par suggestion, d’une paralysie psychique des mouvements adaptés de l’écriture ? Par quels caractères même la distinguera-t-on d’une agraphie par lésion cérébrale localisée ? Par la marche des accidents et les phénomènes concomitants, mais non point par la forme du trouble local.

Donc, dans les trois cas, ce trouble doit reconnaître une cause analogue par sa nature ou par son siège. L’analogie qui existe entre l’aboulie et la paralysie systématisée peut être mise en lumière par des expériences de suggestion chez des hypnotiques[1].

Si à un sujet de ce genre nous inculquons l’idée de faire des mouvements alternatifs de flexion et d’extension du pouce droit, nous le voyons effectuer cet acte automatiquement et sans interruption, jusqu’à ce que survienne une excitation périphérique capable de produire ce qu’on appelle l’inhibition, une forte constriction du bras gauche par exemple. Si nous lui demandons alors de faire le mouvement qu’il exécutait tout à l’heure, le sujet déclare qu’il sent qu’il est capable de faire ce mouvement, qu’il voudrait bien le faire, mais que quelque chose l’en empêche ; le fait est que l’on ne peut obtenir ce mouvement, bien que l’on puisse faire saisir un objet quelconque avec force, bien que l’on puisse obtenir un mouvement complexe, comprenant le mouvement impossible à exécuter isolément.

Si au lieu d’inhiber cette impulsion on provoque directement par suggestion la paralysie du même mouvement, le sujet se trouve dans un état très analogue ; il répond qu’il ne sait pas qu’il ne peut pas faire ce mouvement. L’ordre se rétablit lorsqu’on a répété un certain nombre de fois que le mouvement est possible. On peut dire que le même phénomène se produit chez tel aboulique, qui est incapable de vouloir passer une porte, mais qui arrive à le faire lorsqu’une personne étrangère lui a affirmé avec autorité qu’il est capable de passer. Dans les deux cas, il est nécessaire de renforcer l’image motrice pour obtenir le mouvement. Dans l’impulsion et dans le spasme au contraire, l’image motrice est tellement intense que l’acte s’accomplit d’une manière explosive, sans que le sujet ait le temps de se sentir vouloir.

  1. J’ai déjà communiqué quelques-unes de ces expériences à M. le docteur Langle, qui les a utilisées dans sa thèse inaugurale (De l’action d’arrêt ou inhibition dans les phénomènes psychiques, 1886, Paris).