Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
362
revue philosophique

toire de l’humanité. En même temps que l’esprit se reposera dans ce demi-sommeil, il se pénétrera des vérités de la science, de la conception de l’univers. Puis, après un temps plus ou moins long, de nouveau on reconnaîtra la joie de la révolte, la joie de briser les barrières et d’ouvrir l’espace devant soi. Ce sera la Renaissance. L’esprit rajeuni soulèvera la multitude des faits observés et classés pour en construire quelque nouveau palais d’idées d’une architecture inconnue.

Au fond du trou noir de l’avenir, chacun ne discerne peut-être que les images que lui suggère son attente. Au lieu de nous tourmenter à savoir comme on a vécu, comme on vivra, vivons. Soyons hommes, pour cela ne dédaignons rien de ce qui est humain. Toutes les formes du génie sont légitimes, achèvent l’une par l’autre de dessiner la grande figure de l’humanité. Par la science, par l’art, par les métaphysiques et par les religions, la nature poursuit en nous son œuvre. Acceptons l’homme tout entier ; c’est la diversité de ses efforts, ce sont les contrastes de sa nature qui font sa grandeur. La science n’est qu’une de ses fonctions : supprimez tout ce qui n’est pas elle et imaginez l’histoire ! Aimons l’homme dans ses temples et dans ses dieux, dans ses désirs infinis, dans l’audace de ses espérances, dans ses sacrifices de la vie présente à l’idéal incertain, dans le poète qui crée la beauté comme dans le savant qui la décompose. L’individu n’a de sens que par ceux qui diffèrent le plus de lui. L’habitude, en nous spécialisant, nous déforme. L’orgueil qui nous isole nous abêtit. Seule, la sympathie est intelligente ; elle rétablit l’équilibre et l’harmonie ; en nous donnant l’esprit des autres, elle nous fait une âme vraiment humaine. La tolérance n’est qu’un mot, si elle est le dédain substitué à la violence. Le simplificateur à outrance qui, après avoir supprimé en soi, tout ce qui est l’humanité même, dit superbement : « L’homme de l’avenir, c’est moi ! » me fait songer à quelque oison déplumé qui pavanerait tout fier son pauvre corps frileux, grelottant, dépouillé de tout ce qui faisait sa force et sa beauté.

Gabriel Séailles.