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SÉAILLES.l’origine et les destinées de l’art

nent déjà, dans les œuvres de notre époque, une importance croissante, si le mouvement, signe visible de la pensée, finit par y animer tout, comme chez les Michel-Ange, les Puget, les Rude, l’art, pour s’être transformé, sera-t-il détruit ? » (p. 97).

Après la physiologie, l’histoire. Selon M. Taine, il est plusieurs arts, dès aujourd’hui languissants, « auxquels l’avenir ne promet plus l’aliment dont ils ont besoin ». « Le règne de la sculpture est fini, dit M. Renan, le jour où l’on cesse d’aller à demi-nu. L’épopée disparaît avec l’âge de l’héroïsme individuel ; il n’y a pas d’épopée avec l’artillerie. Chaque art, excepté la musique, est ainsi attaché à un état du passé ; musique elle-même, qui peut être considérée comme l’art du xixe siècle, sera un jour faite et parachevée. » Nul n’étant prophète, il est bien difficile de répondre à ces affirmations. À toutes les époques de fatigue ou de décadence, on eût pu trouver d’excellents arguments pour prouver la fin prochaine de l’art. On compte sans le génie. Ce qui peut nous rassurer, c’est que la sculpture, paraît-il, est morte depuis près de deux mille ans. L’avenir n’étant à personne, il est à tout le monde. M. Guyau le voit tout autre que M. Renan. « Les artistes anciens étaient plus savants, dans la technique de leur art, que nos artistes modernes. À la Renaissance, les Léonard de Vinci et les Michel-Ange étaient de puissants génies scientifiques… La plastique et la science ne s’excluent donc point. Quant au changement de mœurs, qui ne date pas d’hier, il n’a point entraîné et n’entraînera pas sans doute la disparition de la statuaire. On ne refera pas la Vénus de Milo ou l’Hermès de Praxitèle ; mais qui sait si le statuaire ne deviendra pas capable de fixer dans la pierre des idées, des sentiments poétiques que les Grecs, avec toute la perfection plastique à laquelle ils étaient arrivés, n’auraient pu rendre ni peut-être concevoir ? Praxitèle n’eût pas imaginé la Nuit ou l’Aurore de Michel-Ange Michel-Ange, ce poète de la pierre — et ce penseur — n’eût pu exécuter telle ou telle œuvre de Praxitèle a (p. 99). La peinture va-t-elle mourir, quand l’œil est plus sensible que jamais à la délicatesse des nuances ? La musique est née d’hier ! Elle est « aussi jeune que l’était la peinture au temps de Protogène et d’Apelle ». Que sera la poésie de demain ? je l’ignore. C’est au génie de la découvrir en lui-même. « Mais du continuel dépérissement des formes particulières de la poésie, l’historien n’a pas le droit de conclure, avec M. Renan, au dépérissement de la poésie elle-même (p. 103). Tant que dans la passion le sang montera en bouillonnant du cœur au cerveau, il ne faudra pas désespérer d’elle.

Sans doute, l’art durera autant que le génie, mais c’est le génie même qui est condamné et va disparaître. Qui ne prévoit aujourd’hui