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parfum bientôt n’est même plus senti. Les sensations vraiment esthétiques restent celles qui peuvent se combiner, se graduer, et, par leurs nuances, leurs mouvements, leur concert, donner au sentiment humain un corps souple, vivant, mobile comme lui.

Tout ce que l’auteur démontre, c’est que dans le beau il y a l’agréable, ce que personne ne nie. Aussi bien, après avoir parlé de la beauté des sentiments, de la beauté des sensations, il en vient à se réfuter lui-même et à dire aussi nettement que possible que le beau n’existe que par la synthèse de ces deux termes. Au premier moment, la sensation est un choc fort ou faible ; au second moment, elle est agréable ou douloureuse. « Enfin, lorsque la sensation de douleur ou de plaisir ne s’éteint pas immédiatement pour laisser place, soit à une action indifférente, soit à une autre sensation, il survient un troisième moment, appelé par l’école anglaise la diffusion nerveuse : la sensation, s’élargissant comme une onde, excite sympathiquement tout le système nerveux, éveille par association ou suggestion une foule de sentiments et de pensées complémentaires, en un mot, envahit la conscience entière. À cet instant, la sensation, qui ne semblait d’abord qu’agréable ou désagréable, tend à devenir esthétique ou anti-esthétique. L’émotion esthétique nous semble ainsi consister essentiellement dans un élargissement, dans une sorte de résonance de la sensation à travers tout notre être, surtout notre intelligence et notre volonté ! C’est un accord, une harmonie entre les sensations, les pensées et les sentiments » (p. 73). Et plus loin il ajoute : « Si le plaisir reste purement sensuel, sans devenir en même temps intellectuel, il n’a pas cette complexité de résonances, ce timbre qui caractérise, selon nous, la jouissance esthétique (p. 76). Un plaisir qui, par hypothèse, serait ou purement sensuel, ou purement intellectuel, ou dû à un simple exercice de la volonté, ne pourrait acquérir de caractère esthétique (p. 77). En général, tout chef-d’œuvre d’art n’est autre chose que l’expression, dans le langage le plus sensible, de l’idée la plus élevée. Plus l’idée est haute et intéresse la pensée, plus l’artiste doit s’efforcer d’intéresser aussi les sens : rendre l’idée sensible et concrète, et, d’autre part, rendre la sensation féconde et en faire sortir la pensée, tel est donc le double but de l’art. » (p. 84) Rien de plus juste, mais si le beau est cette rencontre heureuse, cette pénétration du sentiment et de l’image, de la sensation et de la pensée, est-il légitime de le confondre avec l’agréable, avec l’utile, avec le bien ? Il est impossible d’avoir plus raison contre soi-même.