Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/341

Cette page n’a pas encore été corrigée


L’ORIGINE ET LES DESTINÉES DE L’ART


Notre époque a ceci d’étrange que jamais l’homme n’a mieux connu son histoire et que jamais il n’a éprouvé de telles incertitudes sur sa nature et sur ses destinées. Jusqu’ici, il croyait se connaître, parce qu’il croyait exister. On disait hardiment : le genre humain. Il n’y a plus de genres ni d’espèces. L’homme, être moral, religieux, artiste, est une invention des psychologues. Il n’était qu’un moment de l’évolution nécessaire de l’humanité : l’homme véritable va naître. Des prophètes, dont la médiocrité parfois inquiète, se donnent comme les exemplaires de cet homme définitif. Le rêve de Dupont, calomnié par un poète, peu à peu se réalise. L’esprit humain, toutes ses hauteurs nivelées, tous ses sommets aplanis, trouvera la fécondité dans la platitude. Nous étions des enfants, nous entrons dans l’âge viril. Nous nous éveillons de nos illusions. La religion, la métaphysique et l’art sont condamnés.

Si nos descendants s’occupent de nous, s’ils ne préfèrent pas la vie et la création à l’histoire, ils auront la solution du problème, ils la trouveront en eux-mêmes, dans leurs besoins, dans leurs idées et dans leurs actes. Pour moi, je ne prétends pas au don de prophétie, je ne nie pas que certaines sociétés puissent s’épuiser de sève et mourir dans le désespoir et l’imbécillité. J’ignore ce que nous réserve l’évolution, de quel singe ou de quel ange nous préparons l’avènement. Je voudrais seulement, prenant l’homme tel qu’il nous est donné, me poser avec M. Guyau ce qu’il appelle les Problèmes de l’Esthétique contemporaine. Quel est le principe de l’art ? Quelles destinées peut-on espérer pour lui ? L’homme a des sensations et des idées ; par suite, il apparaît comme esprit et corps ; l’art n’est-il pas une des vocations légitimes, nécessaires, d’un être ainsi composé de deux natures qui, à tort ou à raison, semblent se distinguer et s’opposer en lui ?

I.

L’école critique et l’école empirique, Schiller et Herbert Spencer, opposant l’utile et le beau, s’accordent à faire de l’art une forme du