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La comparaison faite entre l’écriture de Mme ***, telle qu’elle était réellement à l’âge de douze ans, et l’écriture actuelle suggérée, ne serait pas moins curieuse. Les traits caractéristiques de l’enfance n’y sont cependant pas très accentués ; il ne serait pas facile, dans la circonstance, de diagnostiquer la personnalité obtenue. L’hésitation serait, d’ailleurs, légitime. Le type de l’avare se présente presque identiquement à l’esprit de tout le monde. On est avare ou on ne l’est pas. Si oui, le manque d’expansion sera affirmé dans toutes les manifestations de l’existence, aussi bien dans l’écriture, la physionomie, le geste en général, que dans l’entrebâillement du porte-monnaie.

Le type du paysan retors est déjà plus élastique ; chacun en crée le concept un peu à sa fantaisie. Cette élasticité devient plus grande encore lorsqu’il s’agit du type du vieillard ou de celui de l’enfant.

Mme ***, à douze ans, était une enfant précoce, très intelligente ; actuellement elle est plus rassie, moins follette, mais toujours enfant, cela dit en très bonne part. Le type bien défini n’existe pas ; chacun est enfant à sa manière, et la différence spécifique entre tel et tel enfant est considérable.

Toutefois, pour entrer dans la peau d’un vieillard ou d’un enfant, on n’a qu’à s’écouter vivre, et d’après les incitations du tempérament et les souvenirs, parfois inconscients, emmagasinés dans la mémoire, on joue son personnage au naturel. Il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit d’une personnalité qui a eu son existence propre ; il est difficile de s’incarner dans le monsieur qui passe. On a grande tendance à créer son personnage de chic. La suggestion faite à Mme *** est celle-ci : Vous serez Napoléon. Que s’est-il produit dans son entendement à l’instant de la suggestion ? Rapidement elle a battu le rappel des lectures, des conversations, des anecdotes disséminées dans les dessous de son souvenir et relatives à la guerre. On lui parle de Grouchy, de l’ennemi qui déborde les lignes ; l’imagination crée de suite en son entendement les concepts de lutte, de fermeté, de désespoir. Mme *** a les cheveux châtains, plus ou moins foncés ; pour mieux lutter, elle fabrique un Napoléon à cheveux plus noirs que plats ; elle le donc avec raison d’une volonté de fer, mais en même temps elle le gratifie de sa mobilité d’impression et d’une vivacité qui laissent percer le bout de l’oreille féminine. En un mot, elle s’est dit : Grouchy, l’ennemi qui déborde les lignes, c’est grave. Dans les circonstances graves, on s’exaspère, on perd tête ; elle a fait perdre un peu la tête à Napoléon.

On voit donc que, même lorsque la personnalité est créée de chic, le scripteur ne se sert, pas d’éléments autres que ceux qui se trouvent dans son caractère, dans son tempérament et dans sa mémoire ; que le moi n’est jamais absolument supplanté ou métamorphosé ; sinon, peut-être, dans le cas de dédoublement de personnalité tel que celui signalé par MM. Bourru et Burot dans un précédent numéro de la Revue.

L’écriture varie suivant la sensation ou la pensée imposées au scripteur ; le fonds disparaît presque sous les fioritures et les arabesques