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ANALYSES.p. andré. La vie du R. P. Malebranche.

force ne consistait que dans l’obscurité de ses raisonnements, et un jésuite qui n’était à craindre que par l’autorité de son corps. » C’est en d’autres termes qu’il parle d’un Bossuet ou d’un Arnauld. « Le prélat, dit-il du premier, était un homme d’un génie rare, d’un savoir profond, connu par divers ouvrages, histoires, controverses, pastorales, oraisons funèbres, etc., dans lesquels on admire, avec une grande politesse, un bon sens toujours soutenu et une majesté naturelle où l’art ne saurait atteindre. » Il loue d’ailleurs, à plusieurs reprises, sa bonté et sa droiture.

Avant de reproduire l’appréciation du P. André sur Arnauld, nous devons signaler une insinuation infamante du P. Ingold contre ce dernier. Il s’agit de la fameuse rétractation que Malebranche aurait faite de la signature qu’il avait donnée au formulaire D’Alexandre VII et que M. l’abbé Blampignon a prise au sérieux après bien d’autres. On sait qu’on n’a qu’une copie de cette rétractation, donnée dans la relation de la captivité de la sœur Sainte-Eustochie de Brégy : la pièce n’a donc aucun caractère d’authenticité, et l’on est parfaitement autorisé à la contester ; mais il nous semble que le P. Ingold s’appuie sur de bien faibles arguments pour établir qu’on est certainement en présence d’une imposture. Il se fonde, après l’abbé Hemey d’Auberive, sur ce que Malebranche a toujours été hostile aux doctrines des jansénistes sur la grâce ; cette raison n’a de valeur que si la rétractation porte sur la doctrine or il n’en est rien[1]. « Je rétracte donc par cet écrit, dit Malebranche, le témoignage que J’en ai rendu par ma signature contre ce prélat (Jansénius), en le confessant auteur des cinq propositions condamnées par le pape et les évêques, défenseur des hérésies qu’elles renferment et corrupteur de la doctrine de saint Augustin. » Est-ce là le langage d’un partisan des cinq propositions ? Que signifient dès lors les arguments invoqués, puisqu’on est simplement en présence des remords extrêmement honorables qu’aurait éprouvés Malebranche pour avoir imputé des erreurs en la foi à un évêque dont il n’avait pas lu l’ouvrage ? La rétractation se trouvant insérée dans une lettre d’Arnauld, l’abbé Hemey d’Auberive admet qu’elle l’a été après coup, ne croyant pas Arnauld complice de cette supercherie ; quant au P. Ingold, il n’a pas aussi bonne opinion du grand janséniste.

Bien qu’ami de Malebranche, le P. André professe pour Arnauld une très sincère estime, et nous terminerons notre étude par la reproduction abrégée du portrait qu’il en donne : « Antoine Arnauld, docteur de Sorbonne, d’une famille illustre dans la robe et dans l’épée, avait hérité de ses ancêtres un grand esprit et un grand cœur. Né avec un génie vif, étendu, pénétrant, soutenu d’une vaste mémoire et d’une imagination forte, il apprit toutes les sciences avec une rapidité inconcevable… Se trouvant du talent pour écrire, il consacra sa plume à la religion… On ne peut nier sans injustice qu’il n’ait rendu à l’Église des services très

  1. Voir le texte complet de la rétractation dans l’introduction aux œuvres philosophiques du P. André par Victor Cousin, p. XLIII