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verselles et propres à tout le monde, en propose dans cet article de particulières, de respectives, de ces arguments qu’on appelle ad hominem, fondés sur les principes reçus par les adversaires contre qui on dispute. Ce sont des démonstrations pour les cartésiens et les malebranchistes L’auteur n’a pas dû les oublier, etc. » L’impertinence était un peu forte, car Fénelon avait déclaré que les preuves métaphysiques sont les plus parfaites. Blessé jusqu’au vif, Malebranche ne voulut pas en venir à un débat public, craignant d’attirer de nouvelles persécutions à ses confrères de la part des jésuites, qui poursuivaient auprès de Louis la destruction de l’Oratoire. Il prit le parti d’écrire à Fénelon, et le P. André donne une longue analyse de sa lettre dans laquelle, bien qu’ignorant l’auteur de la préface, il se plaint vivement de la conduite des jésuites et conjure Fénelon de défendre la vérité sans blesser la charité. La lettre écrite, Malebranche, ne voulant pas l’adresser directement à un prélat que ses attaques contre le pur amour avaient pu indisposer, la fit remettre par un magistrat au cardinal de Polignac qui avait promis de l’envoyer bien accompagnée à Fénelon ; mais, saisi de frayeur à son tour après l’avoir lue, le cardinal prend le parti d’écrire lui-même à ce dernier, pour savoir son sentiment sur la préface. Ayant reçu une réponse courte, mais substantielle, désavouant la préface, il alla voir le P. le Tellier. « Il n’arrive guère, dit André, qu’on se fasse craindre des hommes, sans les craindre beaucoup soi-même… Il avait pour lui le roi, mais il avait contre lui tout le public, ennemi toujours formidable aux rois mêmes… Il conclut à une prompte satisfaction. » Nous nous arrêterons là sans entrer dans le détail des tiraillements auxquels donna lieu cette satisfaction.

Pour achever de donner une idée de l’œuvre du P. André, nous voudrions montrer son esprit de haute impartialité, du moins dans les jugements d’ensemble, car, dans les récits de détails, il a souvent des expressions très vives. Notons d’abord qu’il sait, à l’égard des amis de Malebranche, glisser l’épine sous la rose. Grand esprit et plus grande mémoire, l’archevêque de Paris, de Harlay, est connu et adoré dans toute la France. « Les refus de M. de Harlay valent mieux que les gràces de M. de Noailles : celui-ci avait un air sérieux. Il y a une scène dans le Festin de Pierre de Molière où M. Dimanche vient demander de l’argent, laquelle, disait-on, peint à merveille M. Harlay. »

De toutes ses critiques des jésuites, la meilleure est celle qui résulte de l’éloge de l’Oratoire. « Tout y est fondé sur le bon sens. On y a une honnête liberté, et pourvu qu’on y soit régulier pour les mœurs et catholique pour la foi, on n’a droit, selon les règlements, de vous contraindre sur rien institut en cela plus sage que les autres sociétés régulières, où les particuliers sont obligés de suivre des opinions qui n’ont souvent d’autres preuves, sinon que l’ordre les soutient. » En ce qui concerne les individus, le P. André leur attribue bien l’importance qu’ils méritent. Foucher et le P. le Valois, qui se dissimulait sous le pseudonyme de Louis de la Ville, sont de faibles ennemis : « un bon chanoine dont la