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STRICKER.de la parole et des sons intérieurs

VII

Après avoir écrit cet article, j’ai eu l’occasion de soumettre le célèbre musicien Johann Strauss à un examen psychologique dont les résultats ne sont pas sans importance.

J’ai choisi M. Johann Strauss parmi les capacités de Vienne comme expert pour ou contre ma théorie, non seulement à cause de son importance comme musicien compositeur, mais à cause du caractère spécial de ses œuvres.

En m’occupant d’études antérieures, j’ai fait l’expérience qu’il existe des individus doués d’un don particulier, celui d’observer leurs sentiments musculaires. Avant tout, il faut compter parmi eux les individualités douées de facultés supérieures. Et je voudrais, dans l’intérêt du choix à faire parmi les sujets à examiner, ne pas négliger d’attirer l’attention sur ce point qu’il y a à faire ici une distinction entre ceux qu’on qualifie de gens d’esprit et ceux qui sont doués de facultés supérieures. Les gens d’esprit jugent promptement ; l’innervation n’est pas en général chez eux assez intense pour qu’ils la perçoivent distinctement et pour ainsi dire isolément. Ils sont aussi plus enclins à la contradiction. Les gens à facultés supérieures ne contredisent au contraire que quand ils sont fortement convaincus ; ils ne sont pas dominés par le penchant de la contradiction qui entrave la tranquille observation.

Sont particulièrement doués pour la perception des sentiments moteurs ceux qui ont des dispositions naturelles pour la gymnastique, la natation, la danse, en un mot pour les exercices corporels. Ils sentent mieux les impulsions nerveuses que les individus indolents et paresseux. J’ai donc pu admettre qu’un homme qui, comme M. Johann Strauss, nous stimule par ses compositions et nous excite au mouvement, ou tout au moins à un mouvement intérieur (à battre la mesure), devait être doué d’un sentiment musculaire très développé. Il ne pourrait pas, pensais-je, en composant une valse, conserver le même repos qu’un peintre par exemple au moment où il étudie le caractère d’un paysage. Et je ne me suis pas trompé dans ma supposition. M. Strauss compose par le sentiment des lèvres, il ne les chante pas, mais il les sifflote invisiblement et imperceptiblement.

J’avais déjà été avant rendu attentif à la circonstance que les compositeurs se représentent leurs motifs par le sentiment des lèvres, par