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ANALYSES.p. a. bertauld. Recherche des causes premières.

Il s’en faut que les unes et les autres aient même genèse. Les convictions morales sont affaire de sentiment et de volonté ; les croyances scientifiques n’intéressent que l’intelligence. Nous ne saurions, sans dépasser les limites d’un compte rendu, insister sur cette différence. À supposer que M. Bertauld l’accepte, quel parti prendra-t-il ? Sera-t-il avec les dogmatistes ou fera-t-il cause commune avec les criticistes ? « La philosophie autoritaire n’est pas heureuse lorsqu’elle prétend donner à ses solutions la forme rigoureuse du théorème de géométrie… Les causes premières ne sont ni tout à fait saisissables, ni complètement inaccessibles : il y a dans le problème qu’elles soulèvent une part pour la science et une autre pour l’ignorance. » Si j’ai bien compris, c’est par l’application de la méthode scientifique qu’on arrivera à la connaissance des causes premières, dans la limite où elles sont connaissables. Descartes se flattait de pouvoir tout résoudre avec sa méthode. Avec la sienne M. Bertauld confesse qu’il restera une grande part d’inconnu. Soit. Ne nous occupons pas de cet inconnu. Mais le peu qu’on en connaîtra, sera-t-il objet de « science » ou de « croyance » ? — Objet d’hypothèse. — Soit, encore. Vous espérez donc qu’un jour il sera permis de croire en Dieu comme on croit au principe de la conservation de la force, et que l’hypothèse théiste prendra rang parmi les hypothèses scientifiques ? Ou j’ai mal lu et mal compris M. Bertauld, ou tel est son espoir, et si son espoir est tel, il est plus près des dogmatistes et plus loin des criticistes qu’il ne le pense. Le premier chapitre de ces trois volumes, si pleins de remarques justes ou ingénieuses, d’aperçus suggestifs, laisse décidément le lecteur dans l’embarras. Ouvrons le deuxième volume où l’auteur critique la « méthode spiritualiste » et voyons comment il a apprécié la méthode cartésienne.

Inutile de dire que la méthode cartésienne va être condamnée. Le lecteur l’a déjà pressenti. Néanmoins nous lui recommandons de ne point négliger ces pages où l’impuissance de la méthode déductive, en dehors des sciences mathématiques, est bien mise en lumière. M. Bertauld nous a donné là un des meilleurs chapitres de son ouvrage, et qui vaut surtout par le détail. Descartes a cru prouver que Dieu existe, il a prouvé que Dieu est possible : c’est déjà quelque chose, mais ce n’est point tout. Descartes a cru établir l’existence de l’Être parfait en démontrant que ni les sens, ni la conscience ne pouvaient nous en fournir l’idée : il a exclu deux hypothèses, et il aurait pleinement réussi dans sa tentative si la preuve était faite que pour expliquer comment se trouve en nous la notion de l’Être parfait, il faut de trois choses l’une ou que cette idée nous vienne des sens ou que la conscience nous la donne, ou que Dieu l’ait déposée en nous. Cherchez une quatrième hypothèse, et vous chercherez en vain. Possible, répond M. Bertauld, mais je n’aurai pas le droit d’en conclure qu’une quatrième hypothèse est inadmissible. Je ne puis la formuler qu’importe ? Ne sais-je pas que l’esprit humain est limité ? Il est des choses bonnes à redire, et M. Bertauld a bien fait d’en rajeunir l’expression.