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ANALYSES.p. a. bertauld. Recherche des causes premières.

On peut lire dans le volume que je n’ai jamais pu apprendre à des chiens ni à des oiseaux à compter jusque quatre et j’insinuais que je doutais qu’on y parvint jamais. J’ai rappelé, dans un article de la Revue scientifique (3 janvier 1886), les insuccès des tentatives analogues de sir John Lubbock. Il y a donc peut-être une différence entre l’intelligence humaine et l’intelligence animale, celle-ci ayant en moins quelque chose d’essentiel. Nous voilà ainsi ramenés au point où en étaient Descartes, Leibniz, Bossuet, Buffon et Condillac ; mais nous avons une tâche plus lourde qu’eux à remplir. Il ne suffirait plus, et je l’ai annoncé plus haut, d’accorder à l’homme une âme propre ; il nous faut concilier l’absence de ce quelque chose d’essentiel avec la théorie de l’évolution qui veut que l’homme descende des animaux. Darwin s’y est essayé. A-t-il réussi lui et ceux qui l’ont imité ? je n’oserais répondre affirmativement. Nous ne voyons jamais les animaux rien inventer. Leur intelligence est la même que du temps d’Ulysse ; et si le chien du prince d’Ithaque pouvait renaître, il ne se sentirait pas dépaysé, ni humilié, au milieu de ses confrères actuels. Pourrait-on en dire autant de son maître ?

Comment sortir de là ? Je l’ai dit dans l’article précité et dans mon travail sur l’Origine de la vie et de la mort[1], je crois que les espèces ont débuté par être aussi nombreuses que les individus ; que le nombre en est devenu plus restreint, en même temps que leurs différences devenaient plus profondes ; que sous l’impulsion des causes évolutives, la plupart s’aventurent dans des chemins qui, après des détours plus ou moins longs, aboutissent toujours à des sortes d’impasses, et que, de même que la vérité est une et l’erreur légion, de même la voie du progrès et de la perfectibilité indéfinie est unique. L’espèce animale qui semble s’être engagée dans cette voie est l’espèce humaine, et encore certaines races de l’espèce humaine. Ces races finiront par ne plus reconnaître leur espèce dans les autres races. Que dis-je ? c’est déjà fait : dans la lutte, nombre des unes et des autres ont disparu à jamais.

Nous voilà bien loin, et bien haut ; et nous sommes partis de près et de bas. C’est que la publication due aux soins de la Revue scientifique, tout en amusant, instruit, donne à réfléchir et invite à méditer ; elle pourrait prendre pour devise banale, mais juste : utile dulci.

J. Delbœuf.

P. A. Bertauld. — Introduction a la recherche des causes premières. Méthode spinoziste. Méthode hégélienne. Méthode spiritualiste. Paris, Germer-Baillière, 3 volumes, 1876-1883.

Nous venons bien tard annoncer à nos lecteurs trois volumes écrits dans une langue souple, claire, d’une lecture agréable et d’un intérêt

  1. Revue philosophique : La matière brute et la matière vivante, t.  XVI et XVIII.