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ANALYSES.Intelligence des animaux.

Mais voici M. F. Musany qui, dans un petit livre tapageur[1], attaque Darwin et nos anecdotiers.

Ni celui-là ni ceux-ci n’ont, d’après lui, étudié de près la manière dont on dresse les animaux ; sinon, ils auraient compris que le dressage se fait par les sensations et qu’il est impossible de rien obtenir autrement ». M. Musany nous explique comment on fait des chevaux ou des chiens savants. Ses explications sont très claires, et il y a tout lieu de les croire exactes. Je me suis informé près des dresseurs de chevaux qui m’ont confirmé ses dires.

On pourrait répondre que les faits dont il est question dans le petit volume sur l’intelligence des animaux, et dont je viens de rapporter un spécimen, ne sont pas des faits de dressage et qu’on y voit au contraire les animaux se dresser eux-mêmes — si je puis ainsi dire — et se mettre en mesure de répondre à des exigences contraires à leur nature. Mais il n’est pas besoin de se donner si beau jeu ; il suffira d’analyser la méthode du dressage.

Soutiendra-t-on qu’on peut dresser une machine, un automate ? Non. Et comment dresserait-on un animal qui n’aurait que des instincts ? Le dressage n’est applicable qu’aux êtres ayant mieux que des instincts et pour des actes seulement où ceux-ci n’interviennent pas exclusivement. Tout dressage revient en somme à empêcher l’animal de faire une chose dont il a envie, ou à lui faire faire une chose pour laquelle il a de la répugnance.

À cet effet on a recours aux corrections et aux récompenses. Nous acceptons comme juste le précepte de Franconi : « Corrigez l’animal pendant la défense, il cédera » ; ou cet autre de Pellier : « La correction qui vient après la défense manque d’à-propos. »

Mais peu nous importe qu’elle vienne pendant ou après la défense, du moment qu’elle est efficace, et demandons-nous comment elle agit Or, puisqu’un temps vient, où elle n’est plus nécessaire, n’est-ce pas parce qu’elle est devenue l’objet d’une certaine représentation mentale qui a le même pouvoir que la chose même ? L’animal a été frappé du bâton pendant qu’il faisait une chose défendue ; comment l’effet de la correction s’étend-il à l’avenir, sinon de cette façon-ci ? Au moment où l’envie lui en prend, il se représente cette action et le coup qui l’a suivie, et il conclut qu’il doit résister à son envie. Peu à peu sans doute il finit par perdre même cette envie ; mais il est un temps pendant lequel elle existe et est maîtrisée.

Il y a là une anticipation évidente, et pour la comprendre, rien de mieux que de faire un retour sur nous-même. Voyons donc comment nous nous corrigeons.

Un de mes intimes amis avait contracté le tic de faire précéder d’un Ah ! retentissant tout bonjour qu’il adressait : Ah ! bonjour, Monsieur ! Ah ! bonjour Pierre ! Ah ! bonjour, mon ami ! Averti, il résolut de s’en

  1. À vous, Messieurs les savants ! Homme ou singe ? Paris, Dentu, 1880.