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appareil auditif ne fonctionne pas bien pour la musique. Il m’a fallu un long exercice jusqu’à ce que j’aie appris à distinguer si c’étaient deux ou trois sons qui résonnaient en même temps. Je ne puis me souvenir d’avoir jamais rêvé d’une mélodie en images auditives, tandis que de bons musiciens m’ont dit qu’ils rêvaient aussi vivement d’images auditives réelles, que moi d’images visuelles. Pour le rêve, il faut avant tout que l’appareil nerveux qui y donne lieu entre en fonctions en conséquence de certaines excitations intérieures peu intenses. Cela n’a pas lieu pour moi. Et c’est ce qui fait que je ne reproduis pas à l’état de veille les sons de l’instrument sur lequel j’ai entendu la mélodie, quand un assez grand espace de temps s’est passé entre l’audition et le souvenir.

Cependant, il y a quelque temps j’ai eu l’occasion d’étudier jusqu’à la fatigue l’accompagnement d’une chanson.

Troublé la nuit dans mon sommeil par des circonstances tout à fait secondaires, j’ai eu pendant mon assoupissement une hallucination de ce chant. Les premiers sons (dans les limites que je puis chanter sans aucun effort) apparurent sans difficulté ; mais aussitôt que j’arrivai à des sons plus élevés, cela recommença pour ensuite m’éveiller dès que j’abordais des sons plus élevés. Cela continua pendant des heures entières. Nul doute que ce ne soient les grands efforts de mon larynx en vue d’arriver à ces tons élevés pendant le rêve, qui m’avaient réveillé. C’était ici le cas des rêves de mouvement. Je me représente les mouvements, comme je l’ai montré dans mon étude sur ce sujet (Vienne, Braumüller, 1882), en innervant certains muscles. Pour me représenter ma propre course, il me faut innerver les faisceaux musculaires qui me feraient courir en réalité. La même innervation m’incommode même à l’état de veille. Quand je suis tranquillement couché, il m’est assez facile de me représenter que je cours, ce qui fait que j’en suis souvent fatigué ; je rêve de quelques pas et je me sens comme paralysé ; je ne peux pas fuir et je m’éveille quand le sommeil n’est pas profond, c’est-à-dire quand l’excitation de la représentation de la fuite est assez forte pour troubler mon sommeil. Les représentations sont justement dans le rêve rattachées à la même innervation, c’est-à-dire au même appareil nerveux qu’à l’état de veille ; et les impulsions lancées dans les grandes masses musculaires sont désagréables à l’état de repos et, pendant le rêve, parfois irréalisables. Il en est de même des impulsions dirigées vers les petits muscles, mais relativement trop intenses pendant le rêve pour pouvoir être exécutées ; le cours du rêve me conduit donc à la représentation d’un ton trop haut pour moi, et cela me dérange dans le demi-sommeil autant que la représentation d’une course rapide.